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 Il était trop loin. Nicotine le sentait à peine. Aller le chercher relèverait du miracle. Mais le regard de ZeratoR ne lui laissait pas le choix. Il ferma les yeux et sauta.

Il avait plongé dans la piscine glacée de la mort. L'université avait disparu. Il n'avait pas besoin d'ouvrir les yeux pour le savoir. Dans ses oreilles résonnaient les cris, les supplications, les rythmes lointains. Ce monde avait la particularité d'être silencieusement bruyant. Il pouvait entendre sans souci sa propre respiration alors que les notes discordantes des musiques mortuaires remplissaient son esprit. Tout était soudain sur le même plan, mixé par un ingénieur du son fou. Son enfer personnel.

Il s'habitua au brouhaha et ouvrit enfin les yeux. Des formes blanches et noires virevoltaient autour de lui, se révélant les unes les autres dans des éclats rougeâtres. Il n'était pas encore enfoncé assez profondément pour interagir avec elles. Et il se félicitait. Il manquait d'entraînement et de précision. C'était un petit miracle qu'il ait réussi du premier coup.

Il fallait maintenant qu'il parvienne à trouver Rivenzi dans ce bordel. Il scruta les alentours. Une âme encore vivante devrait briller de mille feux dans le monde spirituel. Il ne voyait rien de tel. Sa gorge se serra. Est-ce qu'il était arrivé trop tard ? Il avait à peine senti la présence de Rivenzi lorsqu'il avait croisé son regard un peu plus tôt...

Il se mit en marche. Se frayant un passage dans l'atmosphère épaisse de mort qui l'entourait. Aucune lumière à l'horizon. Il allait être obligé de l'appeler, et communiquer dans ce monde n'était jamais une bonne idée. Mieux valait faire profil bas lorsqu'on était vivant.

Il ferma les yeux. Peut-être qu'à l'oreille il aurait plus de chance. Il cessa de respirer et se concentrait sur chaque son qui l'entourait à la recherche de la voix de son ami. D'un indice qui permettrait de l'identifier, de le retrouver.

Il n'y croyait qu'à moitié et pourtant une vibration attira son attention. Ce n'était pas un cri. Ce n'était pas une parole. C'était des larmes. Des larmes de douleur. Pas même un appel à l'aide, une souffrance à l'état pur. Il se dirigea à tâtons vers la source des sanglots. Un cri venait parfois interrompre sa progression. Ou il devait empêcher un esprit particulièrement revêche de s'infiltrer dans son cerveau.

Une fois qu'il fut assez proche, il ouvrit les yeux. La lumière de l'âme était si faible qu'il aurait pu la manquer en connaissant exactement son emplacement. C'était le moment de passer aux choses sérieuses. Faire joujou à la surface du monde spirituel, c'était bien mignon, mais ça ne sauverait pas une âme égarée.

Mezzanine inspira l'air vicié et se concentra. La température se mit à baisser. Il s'en détacha. Son corps physique n'avait rien à faire dans de telles profondeurs. Il le récupérerait plus tard. Il arriva devant la bulle de Rivenzi. Ce n'était peut-être finalement pas trop tard. Les âmes vivantes invoquaient une barrière naturelle autour d'elles lorsqu'elles se perdaient dans les abysses. Elle n'était pas éternelle, mais elle permettait de les protéger un certain temps. Et si elle était encore là, c'est que Rivenzi n'était pas perdu. Nicotine posa la main sur la surface légèrement dorée qui réagit à son contact. Elle l'identifiait. Cherchait à savoir à qui elle avait à faire.

Rivenzi le connaissait bien, ce qui facilitait les choses. Il put se glisser tout entier dans le calme de la bulle. Aussitôt, les cris disparurent et sa respiration retrouva son volume habituel. Rivenzi était roulé en boule sur le sol, en larmes.

« Riv ? »

Il ne réagit pas.

« Rivenzi ? » Cette fois, un reniflement lui répondit.

Rivenzi ouvrit les yeux et le regarda, l'air terrifié.

« Riv, c'est moi. Je suis venu te chercher... Est-ce que tu peux bouger ?

— Nico... souffla Rivenzi.

— Oui, c'est moi. Tout va bien se passer. Je suis venu te chercher.

— J'ai mal... Je veux que ça s'arrête, supplia-t-il.

— Je sais... Ton âme a été entraînée vers les abysses. Faut que tu me suives, que tu remontes à la surface.

— Je peux pas bouger... et... j'ai mal. »

Nicotine s'agenouilla près de lui. Il posa une main sur la sienne. Elle était froide. La situation était critique.

« J'étais seul... il m'a dit que je pourrais... qu'il pourrait le faire m'aimer. Nico... je lui ai fait du mal... »

Les larmes repartirent de plus belle. Mezzanine saisit doucement Rivenzi. Il ne fallait pas le brusquer. Il était à la frontière. Il s'en voulait de ne pas l'avoir vu venir. Il s'imaginait bien que les conséquences des actions de Ponce finiraient par se faire sentir. Et il connaissait Rivenzi. Tout le monde connaissait Rivenzi. Le mec trop gentil duquel on avait pitié. Le beau gosse au grand cœur qui aimait un peu trop fort la mauvaise personne.

« Ça va aller, il va bien. Ils vont bien. Il faut juste qu'on se débarrasse de quelque chose qui essaye de te changer. Détends-toi, laisse-toi flotter à la surface.

— Je peux pas. Ça fait trop mal. »

Nicotine serra doucement son ami contre lui.

« Je sais Riv, je sais. Mais si tu le fais pas... »

Il ne termina pas sa phrase. Rivenzi était un garçon intelligent. Il le sentit tressaillir contre lui.

« J'ai peur.

— Ça va aller... »

Il sentit la main de Rivenzi bouger contre son flanc. Un premier bon signe. Il reprenait possession de ses moyens. Il n'avait plus qu'à nager.

« Ouais, c'est bien. Allez, continue.

— Nico... Je veux plus être seul.

— Riv, t'as jamais été seul. Ultia t'aime, je t'aime, DamDam t'aime, et des dizaines de personnes t'aiment.

— Mais Ponce...

— C'est un connard. Mais il t'aime. Tu n'es pas seul. »

Rivenzi sanglota à nouveau. La deuxième vague, comme l'appelait Nicotine. Celle de la culpabilité. Il le serra un peu plus fort. Il le sentait qui se réchauffait contre lui. Autour d'eux, la bulle commençait doucement à remonter vers la surface.

« Je suis désolé...

— T'as pas à être désolé, Riv. C'est pas ta faute. Laisse-toi porter. Ça va aller. »

Ils atteignirent la surface et dans un éclair de lumière Nicotine était de nouveau dans le couloir de l'établissement. Rivenzi était allongé à quelques mètres de lui en train de tousser un esprit qu'il était le seul à voir, dans les bras d'un Ponce qui avait manifestement été soigné pendant sa plongée.

Un peu plus loin, ZeratoR était accroupi près d'Étoiles qui était en train d'être remis en état. Le sol était encore couvert de débris et de sang qui témoignaient de l'accident, mais tout avait l'air d'être sous contrôle. Il sentait qu'il avait manqué quelque chose, il y avait vraiment beaucoup de sang. L'adrénaline qui coulait dans ses veines se tarit et il tomba à genoux, épuisé. Il eut à peine le réflexe d'amortir sa chute avec ses bras avant de s'endormir.

Nos Étoiles MystèresWhere stories live. Discover now