5.

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Allongée dans mon lit, je fixe le plafond bleu. Je ne sais pas trop pourquoi il est bleu d'ailleurs, c'est pas commun. Mais j'ai l'impression d'observer le ciel, ou la mer. Un peu des deux je crois. Je repense à ce dîner, et à ces fameux yeux. On s'est affrontés tout le long, sa pupille venant à la rencontre des miennes. Ça m'avait assez déstabiliser pour qu'un bout de viande vienne s'écraser sur mon pantalon blanc, et je l'avais maudit de toutes mes forces. Satané monsieur X, lui et ses foutues yeux vont me faire perdre de précieuses minutes à essayer d'éliminer cette tâche de graisse. Ce petit "jeu" avait l'air de l'amuser, en tout cas il n'avait pas l'air de s'ennuyer plus que ça. Quand à moi, j'étais tellement mal à l'aise, mais tellement curieuse à la fois, que je perdais le fil de la conversation, bredouillant des réponses incompréhensibles aux questions d'Aïda. J'étais pitoyable. Ils devaient tous penser que j'étais une conne absolue. Cette réflexion m'arracha un soupir. Mais ses yeux... ils ont quelque chose. Ils m'intriguent. Il m'intrigue, lui en tant que personne. Qui il est ? Et que fait-il dans la vie ? Ou même que fait-il là maintenant ? Je me plonge dans l'étendue bleue, mais je n'arrive pas à m'imaginer un scénario plausible. Et puis de toute manière, pourquoi je cherche à savoir ? Je soupire de nouveau avant de remonter la couverture sur mon visage et de m'endormir.

***

Je remonte la fermeture de ma veste et resserre ma queue de cheval. Je fais mes lacets minutieusement et descends les escaliers quatre à quatre. Opération un esprit sain dans un corps sain, j'ai décidée de courir 1 jour sur 2. Il fait encore chaud, malgré le vent qui semble ne pas vouloir me laisser sortir. Je réfléchis à mon parcours avant de me lancer à l'aventure, si je fais le grand tour de mon pâté de maison, ça devrait aller. Je ne suis pas une grande sportive, mais aussi bizarre que ça puisse l'être j'aime bien en faire. J'ai l'impression de libérer toutes les tensions accumulées dans mon corps, et ça me fatigue trop pour me laisser le temps de réfléchir. Quand j'étais jeune ado, je me butais aux joggings sur la plage. J'étais tellement fatiguée après que j'oubliais que ma mère ne voulait pas m'élever, j'oubliais que mon père était un taulard récidiviste et que mon seul refuge était chez ma tante sociopathe qui n'arrivait jamais à me prouver vraiment qu'elle m'aimait. En quelque sorte le sport comblait l'énorme vide qui m'habitait.

Je suis au trois quart de mon tour, j'entre dans la cité de mon enfance et tourne devant l'épicerie. L'épicerie... J'ai soif. Ma gorge me brûle, et avaler ma salive ne semble pas y changer grand-chose. Je fais trois pas en arrière et franchit la porte sous le bruit d'une petite clochette. Si mes souvenirs sont bons, le frigo de boissons fraîches est juste à côté de la caisse. Et effectivement c'est toujours le cas. J'ai terriblement chaud, je ne suis définitivement pas une grande sportive. Kader s'arracherait les cheveux si il voyait que même faire 30 minutes de course j'en viens pas à bout. La bouffée de frais que m'apporte l'ouverture de frigidaire m'arracher un soupir et j'attrape une petite bouteille de cristalline. Elle est bien fraîche, assez pour me brûler les doigts. Je la pose sur le tapis roulant, qui ne roule pas, et lève la tête vers le caissier avec un petit sourire, m'attendant à voir Omar. Pourtant ce n'est pas lui, c'est monsieur X.

- Euh... Bonjour.

Il lève les yeux de son téléphone, et se relève avant d'attraper la bouteille.

X - 30 centimes.

Comment lui expliquer que je n'ai même pas 30 centimes sur moi ? Il va peut-être croire que je veux lui voler cette bouteille. Mais putain, qu'est ce que j'ai soif ! Il m'observe et semble faire le rapprochement entre moi et la fille de l'autre soir vu qu'un petit sourire s'installe sur ses lèvres. Je suis terriblement gênée, déjà parce que .. je ne sais pas, ce mec m'intimide. Mais surtout parce que ce n'est pas dans mes habitudes de demander un crédit, et j'ai bien peur qu'il n'accepte pas. Après tout on ne se connaît pas, et même si c'est seulement pour 30 centimes, ce n'est pas négligeable. Et puis qui me dit que ce n'est pas un véritable connard et qu'il refusera ?

- Enfaite je...

Et voilà, je me met à bafouiller.
Ce que je hais ce trait de caractère qui m'habite.

X - Tu ?

Ça semble l'amuser et il replace sa casquette bien en place sur ses cheveux.

- Je les ais pas sur moi.

X - Et donc ?

- Si je les ramène tout à l'heure, ça te va ?

Il fait semblant d'hésiter avant se de pencher vers moi tout en me tendant ma bouteille.

X - Tu comptes revenir alors ?

- Euh.. oui. Tout à l'heure.

X - Ok, je t'attends.

J'esquisse un petit sourire et attrape la bouteille, pourtant il la retient. Ses prunelles rencontrent de nouveau les miennes.

X - Je sais où t'habite, je veux revoir mes 30 centimes.

Il desserre l'emprise de ses doigts autour de ma cristalline et je me dirige vers la porte.

- Merci.

X - Avec plaisir.

Je ne relève pas et prend la direction de chez moi tout en avalant goulument mon eau.


***

Il m'a quand même "menacé" pour 30 centimes, ce mec est quand même légèrement perché. Et puis c'est pas comme si j'étais une voleuse. Je paye toujours mon dû, je rend toujours ce qu'on me prête, c'est un des points d'honneur de mon code de conduite. Je cherche mes deux pièces jaunes, les fourre dans ma poche et je descend les escaliers. Je me suis quand même laver et changer entre temps, l'odeur de la transpiration c'est pas très sexy. Je m'apprête mentalement à le revoir, parce qu'il aime apparemment les confrontations et que ce n'est pas trop mon truc à moi. En tout cas, monsieur X je suis de retour.

« Soleil de mes nuits »Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon