22.

14.1K 1.1K 56
                                    

- Alors on va où ?
- Ca dépend de ce que tu veux faire, me répondît-il.
- Peu importe, tant qu'on fait quelque chose.
- T'as pas besoin de réviser ?
- Non je me suis avancée.
- Tant mieux, j'ai pas envie d'être la cause de ton échec.

Il m'envoie un petit sourire, et tape une petite marche arrière pour sortir du parking. On ne parle pas vraiment, et je ne sais même pas où est ce que nous allons. Il ne me dit rien, il roule seulement, les fenêtres ouvertes, le vent s'abat violemment dans mes cheveux, mais j'sais pas ça fait du bien. J'ai un petit sentiment de liberté qui apparait avec ce surplus d'air.  Le poste radio laisse percevoir une petite musique, mais j'ai l'impression qu'elle est très loin, le volume est trop bas pour que ce soit compréhensible par mon oreille.

5 bonnes minutes passent avant que je me décide à prendre la parole.

- Dis Ouss ?
- Ouais ?

Il lance un regard dans le rétroviseur avant de me questionner du regard.

- Tu comptes travailler à l'épicerie toute ta vie ? Ou tu voudras changer un jour ?
- J'sais pas. Qui va me prendre ? J'ai même pas le bac.
- Tu peux toujours l'avoir, c'est pas trop tard.
- Tu m'avoir moi avec ma sale gueule allez taper des cours sur Maupassant avec des 2005 ?

Qu'il est bête, mais sa remarque me fait rire.

- Ton avenir il est pas foutu débile, tu pourras toujours te raccrocher quelque part.
- Alala ma petite Radia... Que tu es naïve, c'est dingue. C'est foutu pour moi. Mais de toute façon, même si je le voulais j'pourrais pas travailler, me lever tous les matins, me casser le dos pour ramener un smic... Très peu pour moi.
- Comment tu veux avancer si tu penses comme ça aussi ? Tu peux aussi trouver un travail qui te plait, qui te donne envie de te lever le matin et tout.
- Ca c'est un rêve de gosse de riche Dia. C'est pas pour moi.

Je n'aime pas trop ce genre de remarques, j'ai l'impression qu'il essaye de construire un fossé entre nous deux, ou en tout cas qu'il essaye d'élargir celui qui existe déjà.

- Même si j'étais en galère, j'aurais des rêves. Et j'suis sure que je me bâterais pour les réaliser, je donnerais tout. C'est trop facile de faire comme toi, tu te plains, mais j'ai l'impression que tu fais rien pour changer tout ça.
- Tes oncles sont footballeurs Radia zebi, j'imagine même pas leurs fiches de paye, alors me dis pas que j'fais rien. Tu crois que j'ai jamais essayer hein ? Tu crois que j'me suis jamais lever comme un tahane à 7h du sbah, à poser des CV dans toute la ville sans qu'on me rappelle jamais ? J'ai que dal Radia, j'ai ni la gueule, ni le CV, ni le blase, ni la thune. Y'a rien qui va pour moi, c'est mort. Y'a des trucs qu'on peut changer dans la vie, mais ça jamais. T'es trop sur un nuage, tu crois que la vie elle est belle parce que t'as eu la cuillère en or dans la bouche, mais c'est pas ça Radia. Faut que t'arrêtes.
- Pour informations, mes oncles, ils sont partis de rien. Ils étaient comme toi, voir pire. Ils sont nés au même endroit et ils ont habiter les mêmes bâtiments. Mais justement, ils ont persévéré, jusqu'au bout, et grâce à Dieu ça a payer. T'es pas condamné Ouss.

Il ne me répond pas, et fait un créneau près du trottoir. On est juste à côtés des quais de la Seine. On sort, sans un mot, et on se pose près de l'eau.

- Pourquoi on est venus là ?
- J'sais pas, finit-il par dire. J'aime bien l'eau. Ca te va ?
- Oui, moi aussi j'aime bien.
- Ah ouaaaais la miss de la Méditerranée. C'est comment la mer ?
- Bah c'est... attends, me dit pas que t'as jamais vu la mer ?
- Si si... à la télé.

Il éclate de rire devant ma tête bouche bée.

- Tranquille Dia, on est pleins comme ça.
- Ouais j'me doute mais j'sais pas... Ca me fait bizarre. Dis toi, moi j'ouvrais la fenêtre j'voyais la plage.
- Ah ouais, hella.... J'irais un jour.
- Je t'accompagnerais.
- Nan merci, j'ai pas besoin d'un parasite.
- Ahah, trop drôle. J'suis obligée, j'ai pas trop envie que tu te noies.

Ses doigts viennent pincer mon bras, et je le frappe gentiment à l'épaule.

- J'suis sérieuse Ouss, je viendrais avec toi.

Il plante ses yeux dans les miens, et me fait un petit sourire.

- Ok Radia.

***

Je suis épuisée, et allongée comme une vache sur le canapé. Je fixe le mur sans trop savoir pourquoi, avant de me dire qu'il faudrait peut-être que j'appelle Mima, ça fait longtemps. J'attrape mon téléphone, et lance l'appel.

- Allo?
- Oui mima ? C'est Radia.
- Je sais bien 3agouna je te rappelle que ton nom s'affiche.
- Avec toi on sait jamais...
- Continue tu vas voir, répondît-elle, mais je l'entends sourire derrière le combiné.
- Ca fait longtemps qu'on s'est pas parlés.
- C'est vrai ça... Alors, raconte ?
- Bah quoi?
- La fac, les études, Paris ... Tout.
- La fac euh... c'est chiant. Le droit et tout... des fois mes yeux ils se ferment tous seuls, je lutte mais j'te jure c'est un vrai combat.
- Lâche rien en Radia, sinon tu vas voir comment je vais te chicoter... T'as interet de valider ton année, sinon retour direct à la maison.
- Oui oui je sais... Ca va Hamdolah pour l'instant.
- Mh tant mieux alors, si t'as besoin t'appelle Adam hein, il t'aidera.
- Oui il me l'a déjà dis t'inquiète.
- Et alors, les gens ils sont comment ? Toujours aussi cons ?
- Ca va je les trouve sympas moi, t'abuses
- Ca c'est parce que t'habitues pas au quartier, mais chez Adam. T'aurais emménager la bas ils t'auraient manger en 2 jours.
- Tu me sous estime.
- Ma pauvre, que des gros relous là bas, n'y va pas.
- J'y suis déjà aller et ça va.

Un petit blanc suit ma déclaration.

- Tu es allée où?

Son ton n'est plus du tout aussi amical qu'avant, et je me renfrogne. J'aurais jamais du lui dire ça, elle va paniquer bêtement.

- Voir une copine vitfait, il s'est rien passer tout va bien, j'suis encore en un morceau.

Elle ne relève pas mon ironie, censé détendre l'atmosphère. Elle reprend, le ton très froid, limite autoritaire. Retour en enfance, quand je me faisais gronder après mes petites bêtises.

- Écoute moi bien Radia, tu ne traines pas là bas. Tu n'as pas d'amies, et tu n'en auras pas, tu n'as pas besoin de ça. Tu vas à la fac, tu rentres, tu travailles. Tu sors de temps en temps, mais pas par là bas.  T'es à Paris, alors tu vas sur PARIS, et pas dans ce genre de banlieues miteuses.
- Maïs y'a rien pourquoi tu...
- Radia, je suis très sérieuse. Tu ne vas pas là bas.

Je ne répond pas tout de suite, mais le silence de mort de l'autre coté de la ligne me fait bien comprendre qu'aucune discussion n'est possible.

-Ouais, t'en fais pas. J'ai rien à faire là bas t'façon...

« Soleil de mes nuits »Where stories live. Discover now