15 - Traverser des temps difficiles

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Après la soirée où Kristen avait brandi une page du journal de son ancien lycée, Sally avait mis un temps fou à décolérer. Ce fameux numéro sorti le jour de la remise des prix des sportifs avait marqué la fin claire et nette de sa forte popularité au sein de son lycée. L'article à charge contre Sally avait fini de détruire sa réputation déjà entachée par les propos des uns et des autres.

Sally avait clairement senti que Kristen et ses deux copines avaient cherché à la rabaisser. Se sentaient-elles menacées ? Était-ce pour cela qu'elles avaient tenté de l'humilier devant l'ensemble des Lions et des membres de la fraternité qui les accueillait pour la soirée ?

Sally ne supportait pas d'être prise au dépourvu et encore moins de sentir que la situation lui échappait. C'était pourtant exactement ce qu'il se passait depuis qu'elle était à Felice.

Il y avait d'abord eu toutes ces mauvaises surprises en arrivant ; le dortoir décrépit et sa colocataire insupportable. Puis son échec pour entrer chez les Kappa Mu. Et enfin, ce fameux journal qui surgissait de nulle part alors qu'elle venait d'intégrer les cheerleaders et qu'elle commençait à peine à apprendre à connaître ses coéquipières.

Comme si tout cela ne suffisait pas, elle n'avait aucune nouvelle de ses parents depuis son arrivée à Felice. Ni son père ni sa mère ne s'étaient intéressés à la vie de Sally sur le campus. Et cela lui déchirait le cœur, même si elle ne l'avouerait pour rien au monde. Ce n'était pas dans son caractère, et dans sa famille, il n'y avait pas de place laissée à la démonstration de sentiments et d'émotions. Sally avait appris à ne montrer d'elle que force et confiance en soi. Jamais sa vulnérabilité.

Pour couronner le tout, elle pensait sans cesse à Ashton. Une action, un parfum ou même un simple mot pouvait faire remonter chez elle un tas de souvenirs et de bons moments qu'elle avait partagés avec lui. Cette rupture était un coup dur et Sally savait qu'elle mettrait du temps à s'en remettre. Elle s'interdisait de contacter Ashton même si elle en mourait d'envie. Elle était consciente que la moindre tentative se solderait immanquablement par un échec. Il était clair que son ex petit ami avait définitivement tourné la page sur leur longue relation.

Sally se sermonnait constamment, il n'était pas question qu'elle déprime à cause d'un garçon, même si elle l'avait aimé plus fort que n'importe qui d'autre.

Pour Sally, tout semblait s'enchaîner comme dans un mauvais rêve et elle avait beau se pincer encore et encore, elle ne se réveillait pas. Le cauchemar se poursuivait.

Mais elle ne pouvait pas se laisser abattre, ce n'était pas dans son état d'esprit. Elle devait continuer à regarder droit devant elle et garder foi en l'avenir. Tout reviendrait à la normale d'ici peu, elle en était convaincue.

Sally sortit de son cours d'économie et se dirigea vers Provincia Hall. Elle voulait profiter du fait que sa colocataire assiste à l'un de ses TD pour rester seule et tranquille dans sa chambre avant de se rendre en fin d'après-midi à l'entraînement des Lions.

Sally pénétra dans le dortoir et gravit l'escalier. Quand elle ouvrit la porte de sa chambre, elle sentit tous ses muscles se contracter, surprise par le spectacle qui s'offrait à elle.

Le désordre régnait encore plus que d'habitude ; des vêtements gisaient sur le sol et une forte odeur nauséabonde planait dans l'air.

Elizabeth était affalée sur son lit, son ordinateur calé sur ses genoux et le volume monté à fond. Ses cheveux noir corbeau qui ondulaient en longues boucles autour de son visage bougeaient au rythme de la musique qui résonnait à travers le petit espace.

Immobilisée sur le seuil, Sally ne prononça pas un mot. Elle retint son souffle avant de traverser la pièce pour rejoindre la fenêtre.

Elizabeth détacha son regard de l'écran, tourna la tête vers Sally et la regarda derrière le verre épais de ses lunettes.

— Ah, tu es déjà là ?

Sally ouvrit en grand et s'accouda au rebord. Elle ferma les yeux et inspira longuement avant de se retourner et de faire face à Elizabeth.

— Tu n'es pas censée avoir cours ? demanda-t-elle, une grimace déformant ses traits et trahissant clairement son irritation.

Elizabeth se contenta de hausser les épaules, ce qui eut aussitôt pour conséquence de faire grimper en flèche l'agacement de Sally. Elle marmonna pour elle-même.

— Pour une fois que j'aurais pu profiter de la chambre tranquille !

Du bout de l'index, Elizabeth remonta ses lunettes sur l'arête de son nez.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Rien ! rétorqua Sally, la mâchoire crispée, en jetant son sac sur son lit.

Elle fouilla dans les tiroirs de sa commode, à la recherche de vêtements de sport. Il était hors de question qu'elle reste ici. Si elle avait été seule oui, mais pas en présence de son insupportable colocataire. Sally irait faire du sport avant l'entraînement des Lions.

Elizabeth referma le clapet de son ordinateur d'un coup sec et alla le déposer sur son bureau.

— Pourquoi est-ce que tu es aussi agressive ?

Sally commença à se changer.

— Pourquoi est-ce que tu ne me laisses pas tranquille ?

Elizabeth retourna s'asseoir sur son lit.

— On est colocataires, non ?

— Et alors ?

— C'est normal qu'on se parle. On peut être amies.

— Rien n'est normal, ici ! s'exclama vivement Sally.

— Pourquoi tu t'énerves ?

Sally serra les poings, son exaspération atteignant son comble. Devoir partager son espace intime avec cette fille la remplissait un peu plus de rage chaque jour. Malheureusement elle n'avait pas d'autre choix. L'université imposait aux étudiants de première année de vivre sur le campus, pour une meilleure immersion, et changer de chambre sans raison valable était mission impossible.

Sally prit une longue inspiration, regarda Elizabeth droit dans les yeux et lui décocha un regard glacial.

— Il faut que tu redescendes sur Terre. Toi et moi, nous ne serons jamais amies, tu entends ? Ja-mais ! Je suis obligée de subir ta présence chaque jour mais cela ne fait pas de nous des amies, ok !

Un silence plana quelques secondes avant qu'Elizabeth n'éclate d'un rire tonitruant qui secoua l'ensemble de son corps.

Sally resta choquée devant cette réaction inattendue, et franchement surprenante.

— Tu es folle comme fille, lâcha Elizabeth entre deux hoquets. Complètement tarée !

Sally serra les dents.

— C'est toi, la tarée !

Sur ces mots, elle quitta la pièce en claquant la porte, le rire de sa colocataire continuant de résonner dans ses oreilles.

Sally n'imaginait pas que la situation puisse se compliquer davantage et pourtant, si. Elle ne pouvait désormais plus voir sa colocataire en peinture. Le seul fait de l'entendre parler suffirait à susciter chez Sally un agacement instantané.

Sally fonça comme une furie dans le couloir et dévala l'escalier. Une fois à l'extérieur, elle s'élança dans l'allée centrale et prit la direction du lac. Courir près de l'eau lui ferait le plus grand bien.

Il lui fallait évacuer toute cette tension et cette colère, et se calmer avant de se rendre à l'entraînement. Sally s'obligeait à y maîtriser l'image qu'elle donnait d'elle et à se montrer sous son meilleur jour. Elle le devait encore plus lors de cette semaine, l'entraineuse ayant prévu d'annoncer les deux co-capitaines. Et cette annonce importante pouvait très bien avoir lieu le jour même.

Sally croisait fortement les doigts pour qu'une bonne nouvelle arrive enfin. Car moralement, elle avait vraiment besoin de cette bonne nouvelle. 





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