49 - Un soutien sans faille

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En sortant de l'auditorium, Sally était perdue. Rester dans la troupe de théâtre, comme l'avait convaincue de faire Leila, était-ce réellement ce qu'elle souhaitait ? Était-elle contente que la metteuse en scène ait insisté pour la garder ? Sally ignorait ce qu'elle voulait. Elle ignorait même ce qu'elle ressentait à l'instant précis.

Elle soupira, jeta un coup d'œil autour d'elle avant de reporter son regard vers le ciel gris. Un mince filet de lumière traversait le brouillard. Il ne pleuvait plus, l'averse venait tout juste de s'arrêter et l'air sentait la pluie. Sally aimait cette odeur. Elle décida de rester dehors et de se rendre près du lac. Elle traversa plusieurs massifs d'arbres immenses, évitant autant que possible de recevoir des gouttes, et rejoignit celui qu'elle appréciait le plus. Il était si haut qu'il dominait tous ceux qui l'entouraient et son feuillage était fourni malgré la saison, résistant même aux températures extrêmes. Comme si l'environnement extérieur n'avait aucun impact sur lui.

Sally immobilisa son fauteuil près d'une des grosses racines et au lieu d'admirer le panorama comme elle le faisait d'ordinaire, elle resta plantée là, le regard vide, l'esprit ailleurs. Elle n'avait jamais été indécise dans sa vie, ni même influençable. Pourtant, elle avait l'impression que c'était ainsi qu'elle était devenue. Comme si elle n'arrivait plus à être sûre d'elle et de ses capacités. C'était déstabilisant.

Un bruit la tira brusquement de ses pensées. Elle renversa la tête en arrière et balaya l'arbre du regard. Elle aperçut un petit oiseau sur la branche la plus basse. Il pépiait doucement. De là où Sally se trouvait, il lui sembla que l'oiseau était coincé. Peut-être avait-il était emporté par la vigoureuse averse qui venait de tomber ? Peut-être était-il tombé du nid ? Elle tendit le bras en direction de l'oiseau. Il était à portée de main, Sally pouvait presque l'atteindre. Mais alors que le bout de ses doigts frôla presque l'oiseau, il battit vivement des ailes et s'envola en un instant. Sally observa son vol. L'oiseau n'allait pas mal, il n'était ni coincé, ni mal en point. C'était seulement ce que Sally avait cru. C'était une question de perception. Tout n'était qu'une question de perception.

Cette réflexion agit sur Sally comme un déclencheur. Elle devait cesser de se poser des tas de questions et arrêter de douter d'elle. Rester à se morfondre ne servirait à rien, tout comme regretter. Regretter quoi, précisément, d'ailleurs ? Il y avait tant de choses qu'elle pouvait regretter. Où cela la mènerait-elle si elle se mettait à y penser ?

Sally inspira profondément et redressa le dos. Elle jeta un œil à son téléphone, il était temps qu'elle se rende à l'hôpital. Une nouvelle séance avec Anita l'attendait. Sally savait que le sujet de la pièce de théâtre risquait de venir sur le tapis mais si tel était le cas, ce serait parce qu'elle en aurait décidé ainsi. Anita ne l'aborderait pas la première, elle laisserait le soin à Sally de s'en charger et c'est quelque chose que la jeune fille appréciait.

La séance démarra en silence. Anita avait noté le visage fermé de Sally et savait pertinemment que dans ces moments-là, il fallait laisser le temps à Sally de s'ouvrir. Ne surtout pas la brusquer. C'est après quelques exercices qu' Anita félicita Sally.

— Tu fais des progrès ! constata-t-elle.

Sally regarda machinalement vers ses jambes.

— Tu trouves ? demanda-t-elle sans conviction.

Anita acquiesça. Sally savait que si elle le disait, c'était qu'elle le pensait. Anita ne disait rien pour faire plaisir. Après un silence, Sally dit :

— Merci de m'avoir fait la surprise d'assister à la pièce.

Anita lui sourit chaleureusement.

— Je sais que tu es déçue mais je pense toujours que tu as ce qu'il faut pour cette activité. Tu as le potentiel d'une comédienne.

— Tu n'es pas la seule à le penser...

Anita lui lança un regard interrogateur. Sally évoqua sa décision de quitter la troupe de troupe qui avait finalement changé après sa discussion avec Leila.

— Je suis contente que tu continues le théâtre, vraiment ! Ce n'est pas cette expérience qui doit te faire abandonner. On ne réussit pas toujours tout, tout de suite. Et moi, je ne t'ai pas trouvé mauvaise. Je ne suis d'ailleurs sûrement pas la seule.

— Détrompe-toi. Les gens ont détesté.

Sally prit une bonne inspiration et décida de parler de l'article à Anita. Elle lui confia combien elle avait été touchée par ce qu'elle avait lu. Par chacun des mots. Elle ne s'était même jamais sentie aussi blessée de toute sa vie. Elle avait trouvé dans le théâtre de l'apaisement mais aussi du bonheur. Cette activité, c'était un réel réconfort et chacun des membres de la troupe l'avait accueillie comme quelqu'un de la famille. Sans jamais la juger, sans jamais la mettre de côté. Du coup, lire qu'elle avait été aussi mauvaise, cela l'avait profondément affectée.

— C'est pour toutes ces raisons que tu ne dois surtout pas laisser tomber le théâtre. Tu dois persévérer, t'améliorer. Rome ne s'est pas construite en un jour, comme on dit et ne pas avoir de don naturel pour une activité ne signifie pas qu'il ne faille pas que tu t'y jettes corps et âme.

Sally se mordit les lèvres pour empêcher les larmes d'affleurer à ses paupières. Les propos d'Anita étaient justes. Et la touchaient en plein cœur, mais ceux-ci, contrairement à ceux de l'article, lui faisaient du bien. Oui, elle devait accepter d'échouer. Que son amour propre prenne parfois des coups. De pas être au top tout le temps. De laisser ses émotions la submerger. Et se dire que ce n'était pas grave. Qu'elle n'était pas faible ou moins bien que qui que ce soit.

— Tu as des personnes qui croient en toi. Toutes celles qui sont venues te rendre visite pendant que tu étais dans le coma, je suis convaincue qu'elles te soutiennent encore toutes aujourd'hui.

— Tu veux parler de ma coloc, Elizabeth ? Tu peux parler au singulier, du coup.

Anita secoua la tête.

— Deux jeunes filles sont venues te voir à plusieurs reprises.

Anita les décrivit, il s'agissait de Sarah et Alison, ses deux complices des Lions. Que cette vie au sein des cheerleaders de Felice lui semblait loin !

— Et puis une autre jeune fille est passée, elle est restée longtemps à ton chevet. Après son départ, c'est la première fois qu'on a senti un changement dans ton état. Sa visite a eu un réel effet positif sur toi.

— Vraiment ? s'exclama Sally, surprise.

Personne ne lui avait parlé de ça.

— Qui c'était ?

Et là, à son plus grand étonnement, Sally reconnut très clairement Maddie dans la description que fit Anita. Pourquoi Maddie serait-elle venue la voir ? Pour lui dire quoi ? Et pourquoi Sally avait-elle réagi ? Être au courant de cette visite suscitait de nombreuses questions auxquelles Sally n'était pas certaine de vouloir apporter des réponses.

— Le karma, marmonna-t-elle malgré elle.

Anita fronça les sourcils.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Est-ce que tu crois au fait que l'on récolte ce que l'on sème ?

Anita haussa les épaules.

— Je ne sais pas trop.

Voyant Sally se plonger dans ses pensées et se refermer sur elle-même, Anita se pencha vers la jeune fille et murmura :

— Je pense surtout qu'il faut être fière de ce qu'on accomplit chaque jour et soutenir les personnes auxquelles on tient.

Sally plongea son regard dans le sien et lui sourit avec gratitude. Un instant, ses parents lui traversèrent l'esprit. Particulièrement leur absence. Ils l'avaient abandonnée, ils avaient totalement déserté sa vie et cela lui mit un coup dans le ventre. Elle focalisa alors ses pensées sur Anita qui était là pour elle, infailliblement. Mais aussi sur Leila qui ne la laissait pas tomber, ainsi qu'Elizabeth qui était la meilleure colocataire qu'elle aurait pu espérer. Aussitôt, la pensée de ses parents absents fut chassée par l'image de ces personnes. Elles étaient sa nouvelle famille, désormais.

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