36 - S'ouvrir l'esprit

2.2K 305 13
                                    

Le quotidien de Sally était rythmé par ses visites à l'hôpital. Elle s'était habituée à y croiser les mêmes personnes et avait même commencé à sympathiser avec certains soignants. Surtout un. Enfin, une précisément. Anita, une infirmière à la bonne humeur communicative et au franc-parler légendaire. Au début, Sally ne l'aimait pas. Vraiment pas. Pour Sally, Anita se mêlait bien trop de ce qui ne la regardait pas et se permettait de donner son avis sans qu'on le lui ait demandé.

Mais rapidement, elle s'était rendu compte qu'Anita était la seule à ne pas la prendre avec des pincettes et que ça lui plaisait. Sally ne voulait pas qu'on la plaigne, encore moins qu'on la regarde comme « la pauvre sportive qui a perdu l'usage de ses jambes » et c'était pourtant ce qui arrivait avec la majorité des gens qui l'entouraient. Mais pas Anita. Anita était patiente avec Sally quand celle-ci était de mauvaise humeur. Anita était à son écoute, compréhensive, même quand Sally était désagréable mais elle ne se gênait pas pour dire franchement ce qu'elle pensait. Et finalement, Sally appréciait peu à peu cette façon d'agir et à n'aimait plus que les moments où Anita s'occupait d'elle.

Ce jour-là, Sally fut rassurée en découvrant qu'Anita l'attendait. Sally n'avait pas le moral et elle n'aurait pas voulu se trouver avec quelqu'un d'autre. Anita comprit tout de suite en la voyant que c'était un jour sans. Elle se contenta d'abord de lui dire bonjour. Quand elle lui posa quelques questions, Sally ne répondit que par signe de tête.

— Pas bavarde, aujourd'hui, nota Anita.

— Observatrice, dis donc, lui rétorqua perfidement Sally.

Anita n'en prit pas ombrage, elle n'était pas du genre à se vexer. Ce type de comportement, quand il ne la faisait pas sourire, il l'attristait. Elle savait pertinemment que les personnes les plus méchantes étaient généralement les plus mal dans leurs peaux.

— Alors en dehors des cours, comment tu occupes tes journées ? demanda Anita.

Sally souffla en haussant les épaules.

— Ça veut dire que tu ne fais rien ? tenta de déchiffrer Anita.

Sally tourna la tête et porta son regard au loin, à travers la fenêtre.

— J'ai compris. Je me tais.

Après un court silence, Sally dit tout bas :

— Je ne ferai plus jamais de cheerleading.

C'était la toute première fois qu'Anita décelait autant d'émotions dans les mots de Sally. Elle s'approcha et se mit à sa hauteur.

— Tu n'en sais rien. Je n'en sais rien. Personne n'en sait rien. Il ne faut pas que tu te penses ça. Oui, actuellement, tu ne peux plus en faire. Mais demain ? De quoi est fait demain ? Tu peux me le dire, toi ? Moi, j'en suis incapable. Il faut que tu restes combative et je sais que tu l'es. Je sais que tu es forte et que tu peux tenir le coup.

Anita posa sa main sur le bras de Sally.

— Pour le moment, il faut que tu te battes, que tu travailles pour obtenir ce que tu souhaites et que tu trouves une activité qui te plaise, qui te motive. Il faut que tu reprennes du plaisir au quotidien. Tu ne trouveras peut-être pas une activité qui te combleras autant que le cheerleading. Quoique ? Qui sait, ça aussi ? Peut-être que tu te découvriras douée pour autre chose...

— Ça, j'en doute.

Anita lui sourit.

— Moi pas. Je crois en toi.

Je crois en toi. Cette phrase dite avec douceur et simplicité la toucha en plein cœur mais elle fit tout pour ne pas le montrer. Elle baissa la tête et se mura dans le silence. Cette phrase resta à tourner dans son esprit jusqu'à son retour à Felice. Comment Anita pouvait-elle croire en elle ?

En arrivant sur le campus, elle prit la direction de son dortoir. Sur le chemin, elle croisa des étudiants qui distribuaient des prospectus. Lorsque l'un d'eux s'approcha d'elle, son cœur se mit à battre à toute vitesse. Il lui offrit un large sourire en lui tendant un tract.

— La troupe de théâtre a préparé une super pièce. La représentation a lieu la semaine prochaine, le soir des vacances de Noël ! Ça te dit ?

Sally avait la bouche sèche, incapable de répondre. Cet étudiant, c'était celui pour qui elle avait totalement craqué, celui qui lui avait brisé le cœur sans même le savoir quand elle l'avait trouvé avec Maddie, lèvres collées, le soir d'Halloween.

Sally saisit le tract sans y jeter un coup d'œil, son regard restait rivé sur celui dont elle ne savait toujours pas le prénom.

— Tu joues ? finit-elle par balbutier.

Le jeune se mit à rire. Puis secoua la tête.

— Moi ? Oh non, je suis super mauvais comédien ! Par contre, il paraît que je suis très doué pour donner envie aux gens d'assister aux spectacles.

Sally ne put retenir un sourire.

— Vraiment ? Comment tu fais ?

L'étudiant se pencha vers elle et lui fit un clin d'œil.

— Comme ça ! Ça suffit, non ?

Sally éclata de rire.

— Heu non ! Il me faut plus d'arguments pour poser mes fesses sur un fauteuil et assister à une pièce qui m'endormira sûrement !

— Aïe, répondit-il en plaçant une main sur son cœur. Ça fait mal.

Puis il esquissa un sourire.

— Je ne suis pas un grand fan de théâtre mais j'ai assisté à une répétition de la pièce qui va être jouée et elle vaut vraiment la peine d'aller la voir. Elle est touchante, les acteurs sont fabuleux et on ne voit pas le temps passer.

Sally fit une petite moue.

— Ok. Je vais y réfléchir.

Il lui tendit sa main.

— Je m'appelle Nate.

Sally la saisit.

— Sally, mais j'imagine que tu le sais déjà.

— Effectivement, difficile de ne pas être au courant de ce qui t'est arrivé. Mais je suis content de discuter avec toi.

Les battements de cœur de Sally s'affolèrent.

— Moi aussi, murmura-t-elle.

Au même moment, elle reconnut le jeune qui traversait la pelouse. Anthony. Sally le suivit du regard en fronçant les sourcils.

— Ça va ? Tout va bien ? s'enquit aussitôt Nate.

Sally reporta son attention sur lui.

— Oui, oui, tout va bien. C'est juste que je le connais.

Nate observa le garçon qui s'éloignait à pas lents, le visage strié de larmes.

— Il a l'air sacrément secoué, tu veux aller le voir ?

— Non ! répondit-elle vivement. Non, je... J'ai pas le temps, d'ailleurs il faut que j'y aille...

Entre Anthony et Sally, ça n'avait jamais été l'amour fou, même s'il était le meilleur ami d'Ashton à l'époque où Sally était en couple avec lui. Sally était certainement la dernière personne à qui Anthony souhaiterait parler dans l'état où il se trouvait.

Nate sourit une nouvelle fois à Sally.

— Bien, bah, n'hésites pas à venir voir la pièce. Tu me diras ensuite ce que tu en as pensé, ok ?

— Je verrais.

Puis Sally actionna la manette de son fauteuil, le manœuvra et s'en alla. Elle savait son nom. Nate. Elle lui avait parlé. Et elle était encore plus sous le charme.

CampusWhere stories live. Discover now