38 - Noël - Sally

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Sally avait précieusement gardé le prospectus de Nate dans le tiroir de sa table de chevet, bien que sa première réaction, en rentrant dans sa chambre, ait été d'éclater de rire. Elle, aller voir une pièce de théâtre ?! Quelle idée ! Pendant toutes ses années de lycée, elle avait considéré le club de théâtre comme rassemblant les gens les plus inintéressants de la terre et l'activité de théâtre en elle-même comme ennuyeuse à mourir. Alors, l'idée d'aller assister à une pièce ? Grotesque.

Mais en déposant le prospectus sur son lit, Sally n'avait pas pu s'empêcher de repenser à ce qu'elle avait ressenti quand elle était restée à l'entrée de la salle de spectacle, à observer les comédiens qui répétaient sur scène. Elle avait tout simplement été captivée par ce qui se passait sous ses yeux. Par l''émotion qui se dégageait des comédiens, leurs gestes, leurs expressions. Elle devait donc se rendre à l'évidence : peut-être que le théâtre n'était pas si nul que ça. Et assister à une pièce serait le moyen de se faire une vraie idée. De plus, peut-être que Nate y assisterait aussi...

— Tu es prête ?

La voix d'Elizabeth s'éleva depuis le couloir où l'agitation régnait. Ce soir, après la représentation de la troupe de théâtre, les vacances débutaient. Les étudiants rentraient chez eux pour passer les fêtes de fin d'année en famille. Contrairement à ses camarades, Sally n'avait pas hâte de quitter le campus. Elle n'avait jamais entretenu de très bonnes relations avec ses parents et depuis son accident, c'était pire. Son père continuait à l'ignorer comme il l'avait toujours fait et sa mère n'acceptait pas le fait que sa fille se retrouve en fauteuil roulant. Rien qu'à l'idée de se retrouver avec eux, Sally déprimait. Heureusement que ses grands-parents seraient là, eux aussi, c'était le seul aspect positif que voyait Sally à rentrer elle.

Sally se fixait dans le miroir, perdue dans ses pensées, quand Elizabeth débarqua à côté d'elle.

— Alors, tu es prête ?

Sally tourna la tête vers elle et lui fit signe que oui.

— Super. En route, ma grande ! s'exclama sa colocataire avec une révérence.

Sally éclata de rire avant de faire avancer son fauteuil. Elizabeth la suivit et s'occupa de refermer la porte de leur chambre derrière elles. Les deux amies rejoignirent la salle de spectacle déjà comble. Elles s'installèrent en bout de rangée en discutant joyeusement.
Au moment où la lumière s'éteignit, quelqu'un se glissa sur le siège derrière Sally et se pencha vers elle pour lui murmurer à l'oreille :

— Salut.

Sally sursauta et se retourna. Elle se retrouva nez à nez avec Nate qui affichait un grand sourire.

— Bon spectacle ! lui souhaita-t-il juste quand les premiers comédiens firent leur entrée sur scène.

Tandis que les applaudissements s'élevaient, Sally se força à détourner le regard et à se concentrer sur ce qui se passait sur scène. Mais très vite, absorbée par le spectacle, elle en oublia complètement celui qui se trouvait juste derrière elle.

Pendant l'heure et demie qui suivit, elle ne vit rien d'autre et ne pensa à rien d'autre qu'à ce qui se déroulait sous ses yeux. Cette pièce n'avait rien à voir avec ce qu'elle imaginait. Il y avait de l'humour, de l'action, de la tension et les acteurs étaient excellents. Sally gloussa, elle rit à gorge déployée, elle fut émue, elle sentit son cœur se serrer et, enfin, elle applaudit de toutes ses forces quand la pièce prit fin et que les comédiens se présentèrent tous sur scène pour saluer le public.

Elle se rappela que Nate se trouvait à quelques centimètres d'elle quand il lui demanda au creux de l'oreille :

— Alors, est-ce que j'avais raison ? Cette pièce vaut le coup d'être vue, non ?

Sally pencha la tête sur le côté et fit semblant d'hésiter avant de lui répondre sur le même ton :

— Oui, tu avais raison. Cette pièce n'était pas mauvaise.

Nate esquissa une petite moue.

— Pas mauvaise ?

Sally lui offrit un sourire.

— Ok. Elle était géniale.

— C'est ce que je pense aussi ! Tu vois, pas le genre à t'endormir !

Il accompagna ses mots d'un clin d'œil.

— Effectivement. Je n'ai même pas bailler une seule fois.

Nate lâcha un rire.

— Merveilleux !

Curieuse, Elizabeth se pencha vers eux.

— Tu es... ? demanda-t-elle sans détour à Nate.

— Nate, répondit-il.

— Nate qui distribuait les prospectus et a motivé ma copine à venir voir ce spectacle ?

— Pour ce qui est de distribuer des tracts, je peux te le confirmer, quant à avoir motiver Sally à venir ici, je ne sais pas... On devrait laisser la parole à la concernée...

Sally haussa un sourcil.

— Eh bien, me motiver est un bien grand mot. Disons que tu as titiller ma curiosité et comme je n'avais rien de mieux à faire...

— En tout cas, merci ! s'exclama vivement Elizabeth. Cette pièce était vraiment bien ! Rien à voir avec celles qui étaient jouées dans mon lycée. Pas de fantaisie, pas de trucs fun ! On se faisait chier à mourir.

Nate expliqua :

— Honnêtement, toutes les pièces jouées par la troupe de Felice ont toujours plu. Pour moi, les acteurs sont bons et la metteuse en scène fait de très bons choix.

Les spectateurs quittaient progressivement la salle, Elizabeth et Nate se levèrent pour en faire de même. En se dirigeant vers la sortie, Sally avait encore des étoiles plein les yeux. Elle n'avait pas passé un aussi bon moment depuis une éternité.

Quelques heures plus tard, après un rapide vol d'avion, alors qu'elle se trouvait dans le salon familial, elle ne pensait qu'à la soirée qui venait de s'écouler. Elle avait eu envie de rester avec ses amis, même de leur proposer de passer toutes les vacances ensemble, mais elle s'était mordu la langue avant de passer à l'acte. Eux n'étaient pas comme elle ; ils étaient excités à l'idée d'être auprès de leurs proches. Pressés de laisser le campus derrière eux le temps des fêtes.

Sally prendrait son mal en patience. Elle supporterait les remarques de sa mère, les silences de son père, les difficultés à se déplacer dans cette immense villa qui n'était en rien aménagée pour son fauteuil roulant. Oui, Sally avait bien l'intention de supporter tout ça avec le sourire car désormais, elle avait des amis à qui penser, de bons moments à se remémorer et de nouveaux sur lesquels se projeter. Dans quelques jours débuterait une nouvelle année et elle était bien décidée à ce qu'elle lui apporte bonheur et amitié. Que ses jambes soient de nouveau un jour capables de la porter ou non.

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