59 - Springbreak - Sally

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Pour ses vacances de printemps, Sally avait opté pour un stage de théâtre. Elle y retrouva Marjorie et Grayson, deux comédiens de la troupe de Felice avec qui elle s'entendait très bien, autant sur scène qu'en dehors.

Sally n'avait pas envisagé un seul instant de passer ses congés en famille. Elle ne ressentait plus le manque de ses parents. À ses yeux, mieux valait tenir loin de soi les personnes nocives et pour elle, ses parents en étaient, sans aucun doute.

Sally était heureuse quand elle montait sur scène, tout comme quand elle assistait aux pièces. Elle aimait observer les comédiens brûler les planches, les voir évoluer dans une multitude de personnages différents. Elle se sentait alors quitter le présent, voyager à travers le monde et le temps. Désormais, le théâtre faisait partie intégrante de sa vie et elle ne s'imaginait pas vivre sans.

Les jours passaient et le temps défilait comme s'il était réglé sur avance rapide. Sally profitait de chaque instant : elle vibrait théâtre toute la journée et le soir, elle sortait avec des participants du stage, notamment avec Marjorie avec qui le courant passait plutôt bien.

Elle ne manquait jamais d'envoyer ses messages quotidiens à Anita et Elizabeth. Son amie était, elle, rentrée chez ses parents pour les vacances. Elle avait proposé à Sally de l'accompagner mais Sally appréhendait de se retrouver au milieu d'une famille aimante : elle redoutait la douleur que cela provoquerait chez elle de faire face à tout ce qu'elle n'avait jamais connu, à tout ce dont ses parents l'avaient privée.

Quand elle n'était pas sur scène, Sally commentait ce qui s'y passait. Sally aimait diriger, ce n'était pas nouveau, mais dans cet environnement-là, elle n'avait aucune envie d'être autoritaire comme elle avait pu l'être par le passé et elle ne voulait surtout pas que les gens la rejettent.

Elle mesurait donc ses interventions, se mordait parfois la langue pour ne pas donner son avis à tout va. Elle proposait des ajustements et, à sa plus grande surprise, le metteur en scène piochait parfois dans ses idées, trouvant ses observations pertinentes.

Un soir, alors que Sally griffonnait sur un cahier, Marjorie avec qui elle partageait sa chambre lui demanda depuis son lit :

— Qu'est-ce que tu fais ?

Sally pencha la tête vers elle et répondit :

— Je note quelques idées.

— Des idées de ?

— De dialogues, de personnages...

Marjorie la regardait fixement, l'air très intéressé.

— Je peux lire ?

— Je ne suis pas certaine que ce soit passionnant.

— Je suis sûre du contraire, affirma Marjorie avec un clin d'œil.

Sally sourit. Curieuse comme une chouette, Marjorie réitéra :

— Du coup, je peux ?

— Tu es tenace !

— Tu n'imagines pas à quel point...

Marjorie eut un rire machiavélique et fit une grimace tordante. Sally laissa échapper un petit gloussement.

Sally connaissait peu Marjorie mais elle la trouvait vraiment bonne comédienne. Marjorie faisait du théâtre depuis très jeune et ne vivait que pour ça. Elle n'espérait rien d'autre que de passer sa vie sur les planches, c'était tout le mal que lui souhaitait Sally.

Marjorie avait non seulement très bien accueilli Sally dans la troupe de Felice mais l'avait aussi soutenue après sa piètre prestation lors de la représentation de Noël. L'avis de Marjorie lui importait.

— OK, céda Sally.

— Youpi !

Marjorie bondit de son lit et trottina jusqu'à elle. Sally sourit en lui tendant son cahier. Marjorie le saisit et le parcourut du regard en arpentant le sol.

À plusieurs reprises, son rire perça le silence. Marjorie releva la tête et posa son regard sur Sally. Elle lui tapota l'épaule pour la féliciter.

— C'est très bon !

— Vraiment ?

— Franchement, oui, lui assura Marjorie.

Sally la remercia d'une voix presque timide.

— Tu devrais montrer tes saynètes au prof, lança Marjorie.

Montrer au prof ? Sally ne s'attendait pas à pareille idée. Jamais elle n'oserait faire lire ses idées notées à la va-vite au professionnel émérite qu'était le professeur de théâtre en charge de leur stage.

— On pourrait peut-être en jouer ? J'adorerais être la dame de ce texte-là !

Sur quoi, Marjorie pointa du doigt les lignes consacrées à une discussion vive entre une jeune bourgeoise et son vieux serviteur.

Sally était touchée, fière de susciter un tel enthousiasme chez Marjorie mais elle n'oserait pas d'elle-même présenter ses productions au professeur.

Marjorie s'en doutait, ce fut donc elle qui s'en chargea le lendemain. Elle ne présenta pas le cahier de Sally, elle ne se serait pas permise de le faire, mais elle discuta un moment avec le professeur, vantant les qualités d'écriture de Sally.

Il décida d'échanger avec Sally après les exercices en fin d'après-midi. Gênée, elle n'était pas sûre que l'intérêt qui lui était porté fut mérité, cependant elle accepta de lire un de ses dialogues. Le professeur l'écouta attentivement. D'ordinaire stoïque, il eut l'air amusé.

— Tu peux les développer ?

— Euh, oui, balbutia Sally.

— On les reverra ensemble. Et pourquoi pas les ajouter dans nos exercices ? Marjorie a lancé l'idée et ça peut être intéressant. Ça te dirait ?

Interloquée, Sally accepta d'un signe de tête. De retour dans leur chambre, elle raconta sa conversation à Marjorie qui sautilla de joie.

— Je savais que le prof aimerait tes textes. Tu as le même humour que lui !

Marjorie connaissait ce professeur depuis plusieurs années, participant très régulièrement à des stages et week-ends de théâtre.

Sally passa la nuit à écrire, raturer, relire, corriger. Au petit matin, elle était exténuée mais satisfaite de ses saynètes.

Elle présenta son cahier, non sans crainte, au professeur et attendit patiemment pendant qu'il lisait.

Elle aperçut un rictus, puis un sourire, et enfin, un rire s'échappa de ses lèvres fines. Il releva la tête et regarda Sally un instant avant de dire :

— J'aime ton écriture.

Sally sentit son cœur se gonfler de joie.

Jusqu'à la fin du stage, parmi tous les exercices, textes et sketches que les étudiants travaillèrent, il y eut une saynète de Sally.

Lors du dernier soir, lorsqu'ils firent un petite représentation entre eux et que Marjorie joua la fameuse bourgeoise qui lui avait tant plu, Sally se sentit fière. Extrêmement fière.

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