34 - La vie continue

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Après son départ de l'hôpital, malgré l'insistance de ses parents, Sally avait refusé de rentrer chez elle. Quel culot avaient-ils d'insister alors qu'aucun n'avait pris la peine de venir la voir dans sa chambre d'hôpital ni même d'être présent lors de sa sortie !

Ils ne s'étaient jamais occupé d'elle et ne semblaient pas plus enclins à le faire depuis son accident, pourquoi voulaient-ils le lui faire croire ? Et puis, « chez elle », ce n'était plus cette immense maison dans laquelle elle avait grandi sans jamais s'y sentir totalement à son aise et à sa place. Non, chez elle, désormais, c'était Felice. C'était province hall, ce dortoir qu'elle n'avait jamais apprécié et qu'elle était maintenant pourtant ravie de retrouver. Elle y était bien mieux qu'à l'hôpital ou même chez ses parents, elle n'avait aucun doute là-dessus.

Elle avait ses cours auxquels assister et qui lui permettaient de penser à autre chose que sa situation. Et il y avait Elizabeth. La personne à la fois la plus insupportable et la plus adorable. Elizabeth s'employait à être disponible pour Sally, à l'accompagner à ses séances de rééducation dès qu'elle le pouvait et à l'aider pour tout et n'importe quoi.

Sally avait du mal à comprendre pourquoi Elizabeth se montrait aussi serviable et le lui avait d'ailleurs directement demandé. Elizabeth avait répondu par un franc éclat de rire avant de ma rassurer : elle n'attendait rien en retour. Enfin, si, une chose mais qui serait bénéfique à elles deux : qu'elles soient amies. Elles étaient très différentes l'une de l'autre, certes, mais rien ne les empêchaient de devenir très proches et d'être là l'une pour l'autre. Sally en avait eu le cœur serré. Elle avait connu peu de personnes désintéressées et motivées pour réellement la connaître. Ça lui faisait aussi chaud au cœur que ça l'effrayait. Qui pouvait aimer la vraie Sally ?

Sally acceptait peu à peu l'aide d'Elizabeth. Leur chambre avait été réaménagée pour que le fauteuil roulant puisse passer. Sally s'appliquait à respecter toutes les consignes qui lui avaient été données mais malgré les soins et les séances de rééducation, l'état de ses jambes ne s'améliorait pas. Selon les jours, son moral pouvait être positif et combatif comme très bas. À la limite de la déprime. Le médecin le lui répétait, si elle devait remarcher, cela prendrait le temps qu'il faudrait mais il ne fallait pas baisser les bras. Sally avait toujours été très douée pour dissimuler ses sentiments mais quelque chose avait changé depuis son accident. C'était comme si sa carapace avait éclaté au moment où son corps avait chuté sur le sol. Comme si une nouvelle Sally avait pris sa place et était désormais incapable de jouer la comédie comme elle avait pu le faire toute sa vie.

Elle ne pourrait plus jamais faire de cheerleading. Voilà ce à quoi elle pensait le plus lorsqu'elle se perdait dans ses pensées. Elle ne ressentirait plus l'enivrante sensation de voler dans les airs ni celle de ne former plus qu'un avec ses coéquipières. Le cheerleading avait représenté toute sa vie ces dernières années, elle y avait mis tout son temps et toute son énergie. Comment allait-elle vivre sans ?

Elle n'arrivait ni à se projeter ni à imaginer rester dans ce fauteuil qui lui rappelait sans cesse ce qu'elle avait perdu. Alors Sally, lentement, se refermait sur elle-même. Elle parlait de moins en moins et écoutait les gens, chose nouvelle pour elle. Elizabeth avait beau faire son maximum pour l'aider à garder le moral, Sally se réfugiait dans le silence.

Sally errait beaucoup sur le campus. Entre deux cours, elle allait près du lac, se promener le long de la rive ou s'arrêter sous un arbre, tentant de se cacher de la vue des autres. Elle ne supportait plus de rencontrer les mines apitoyées des uns et les regards qui suintaient la pitié des autres. Elle avait toujours inspiré un tas de sentiments chez les gens qui l'entouraient mais jamais de la pitié. Et ce sentiment-là était pour elle tout bonnement insoutenable. Mais ce regard qu'elle détestait tant, elle ne l'avait pas vu chez Maddie.

Quand leurs yeux s'étaient croisés, quelques jours auparavant lors de la journée consacrée aux activités bénévoles, Sally n'avait vu aucune des émotions qui la hérissait tant. Et elle, pour la première fois de sa vie, s'était sentie gênée. Elle avait préféré fuir dès que Maddie avait tourné les yeux et s'était mise à l'écart. Elle avait suivi de loin les ventes et les différentes animations. Elizabeth avait tenté de la faire participer à certains concours mais Sally n'avait fait que décliner ses invitations. Elizabeth avait compris ; c'était déjà un grand pas que Sally soit là, à suivre cette journée. Il ne fallait pas demander trop d'efforts à la jeune fille. Elizabeth l'avait donc laissée observer tranquillement et était retournée participer aux activités. Sally avait quitté la pelouse peu de temps après et rejoint sa chambre. Elle avait apprécié retrouver le calme de la pièce vide et était restée un long moment à l'entrée, le regard dans le vide, savourant le silence qui l'enveloppait.

En sortant de son dernier cours, Sally remarqua la pluie battante qui tombait à l'extérieur. Impossible d'aller flâner au bord du lac. Elle se résigna donc à regagner sa chambre. Elle traversa le bâtiment des sciences, passa sous le patio et pénétra dans un autre bâtiment. Elle savait qu'en empruntant la dernière sortie, elle se rapprochait de son dortoir. Elle aurait un peu de trajet sous la pluie mais cela ne la dérangeait pas. Quelques gouttes n'avaient jamais tué personne.

Elle avançait dans le couloir quand elle entendit des cris. Aussitôt, elle se figea. L'oreille tendue, elle resta attentive. Le bruit continuait. Elle ne rêvait donc pas, il y avait bien des éclats de voix. Elle fit faire demi-tour à son fauteuil et s'arrêta devant une porte entrouverte. Elle poussa légèrement le battant et jeta un œil à l'intérieur.

C'était une des salles de spectacle et des personnes se trouvaient sur la scène. Ils jouaient, voilà d'où venaient les cris. C'était le cours de théâtre. Sally se rappela que cet endroit servait aussi de lieu de répétition. Elle resta immobile, absorbée par le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Trois jeunes étaient sur scène, se déplaçant avec grâce. L'un d'eux faisait des grands gestes en s'exprimant d'une voix très grave. Son visage était dur, son expression concentrée. Un autre était statique, l'air horrifié et la dernière, une jeune fille frêle aux larges lunettes allait de l'un à l'autre, comme si elle était une sorte de médiatrice. Sally était fascinée. Elle n'entendait qu'une partie de ce qui se disait mais les postures et les déplacements la captivaient complètement.

Elle resta à les observer jusqu'au moment où le trio se tut et la jeune fille sur scène se mit à fixer Sally. Ses camarades de jeu regardèrent dans la même direction et sourirent. Sally détourna le regard et, gênée, partit aussitôt.

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