31 - Le réveil

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Sally fixait le plafond d'un œil vide. Elle avait encore du mal à réaliser qu'elle s'était réveillée dans une chambre d'hôpital aux murs froids et à l'odeur puissante de javel et de médicaments.

Les bips des machines résonnaient sans discontinuer autour d'elle mais elle n'y prêtait pas attention. Elle était plongée dans ses pensées, à occulter tout ce qui l'entourait et à ressasser son passé de lycéenne. Cette époque où sa vie était simple et heureuse. Cette époque où elle était la reine, adulée et enviée de tous.

Elle se revit entourée de son équipe de cheerleaders et aussitôt les larmes lui montèrent aux yeux. Elle n'était pas du genre à pleurer car c'étaient les faibles qui pleuraient, lui répétait toujours son père. Mais à ce moment-là, elle se sentait faible. Et totalement perdue.

Elle inspira profondément en laissant son regard se perdre dans le lointain. Elle ne gardait aucun souvenir des semaines qu'elle venait de passer dans le coma. Elle avait souvent entendu les histoires de ceux qui se réveillaient en affirmant se souvenir de toutes les personnes qui s'étaient succédé à leur chevet et aussi de ce qu'elles leur avaient dit. Mais pas elle. Pour Sally, ces semaines dans le coma ne représentaient qu'un trou noir. Un vaste vide.

Tout ce dont elle se souvenait, c'était de sa chute lors de l'entraînement. Elle avait une seule image ancrée dans sa tête : celle du sol qui se rapprochait de plus en plus jusqu'à ce qu'elle le heurte violemment. Cette chute était la pire chose qui pouvait lui arriver. Ce qu'elle espérait maintenant, c'était de quitter cet hôpital et se remettre d'aplomb. Plus elle passait de temps allongée à rien faire, plus elle perdait des forces, elle en était convaincue.

Quelqu'un toqua à la porte, Sally sortit de ses pensées. Une infirmière pénétra dans la pièce et s'approcha de la machine, située à côté du lit.

— Comment ça va, ce matin ? demanda-t-elle.

Sally se força à sourire. Elle avait toujours réussi à donner le change, elle espérait bien que cela continue.

— Mieux, mentit-elle. Je sors aujourd'hui ?

L'infirmière vérifia les constantes de la machine avant de se tourner vers Sally.

— Le médecin doit venir vous voir.

— Quand ?

— Il le fera dès qu'il pourra.

— Quand je serai soudée au lit à force de rester ici ?

L'infirmière se contenta de sourire.

— En attendant le médecin, vous avez de la visite.

Sally fronça les sourcils.

— Qui ça ?

— Une jeune fille patiente dans le couloir.

Sally tenta de cacher sa déception. Il ne s'agissait donc d'aucun de ses parents.

Elle refusa instantanément.

— Vous êtes sûre ? insista l'infirmière.

— Je ne veux voir personne, asséna Sally.

— Elle est venue tous les jours depuis votre hospitalisation.

— Peu importe, lâcha Sally tout bas en pivotant la tête vers la fenêtre.

En regardant au loin, elle ne pensait qu'à une chose : depuis son réveil, elle n'avait vu ni sa mère ni son père. Ses grands-parents, quant à eux, étaient venus lui rendre visite une seule et unique fois. Personne d'autre pour s'enquérir de son état.

— Très bien, je vais donc renvoyer la jeune fille chez elle, conclut l'infirmière.

La curiosité était trop forte. Sally voulait savoir de qui il s'agissait. Elle soupira.

— Non, c'est bon. Elle peut entrer.

L'infirmière esquissa un sourire.

— Bien, je vais le lui dire.

Elle se dirigea vers la porte et juste avant de quitter la pièce, elle ajouta :

— Le docteur ne tardera pas à venir vous voir. Rassurez-vous.

— Je ne suis pas inquiète, lui rétorqua Sally. Je ne veux pas moisir ici, c'est tout.

Mais, en réalité, oui, elle s'inquiétait. Elle avait hâte de voir le médecin et de quitter cet endroit mais, plus que tout, elle redoutait ce qu'il allait lui apprendre. Elle savait bien que quelque chose clochait avec ses jambes. Et bien qu'elle tentait de taire son angoisse, celle-ci était toujours là, dans un coin de son cerveau.

Sally tourna la tête vers la porte et vit Elizabeth en passer le seuil. Sa colocataire avec qui les relations n'avaient jamais été au beau fixe lui faisait face avec un gentil sourire et un énorme bouquet de fleurs éclatant de couleurs entre les mains.

— Comme je ne savais pas quelles sont tes préférées, j'ai demandé au fleuriste qu'il mette une fleur de chaque sorte, expliqua Elizabeth en tendant le bouquet à Sally.

Ce geste eut un effet totalement inattendu chez Sally, il la bouleversa complètement. C'était comme si sa carapace se fendait complètement, son cœur se serrait devant un acte aussi gentil et prévenant. Sans qu'elle puisse s'en empêcher, les larmes se mirent à couler sur ses joues.

Elizabeth la prit alors dans ses bras et la serra contre elle.

— Ça va aller, lui chuchota-t-elle à l'oreille. Je suis là.

Ces mots ne firent qu'augmenter les sanglots de Sally. Cette gentillesse, elle ne la méritait pas. Voilà ce qu'elle pensa à cet instant. Elle n'avait jamais cherché à être agréable avec cette fille qui, en retour, était venue lui rendre visite chaque jour. Et lui apportait plus d'attention et de réconfort que tous ses proches réunis.

Sally la remercia entre deux sanglots. Elizabeth s'installa sur un coin du lit, passa un mouchoir sur les joues de Sally pour en essuyer les larmes puis se mit à parler de tout et de rien. Elle raconta beaucoup de blagues pour changer les idées de Sally. Et Sally, pendant tout le temps où sa colocataire parlait, ne la coupa pas une seule fois. Elle rit à plusieurs reprises, s'étouffa même une ou deux fois, et un petit sourire ne quitta pas ses lèvres. jusqu'à ce que le médecin fasse irruption dans la pièce.

Elizabeth promit de revenir, Sally lui répondit qu'elle se retrouverait plutôt dans leur chambre vu qu'elle n'avait pas l'intention de croupir dans cet endroit. Elizabeth sourit avant de s'en aller. Elle retrouvait un peu du fort caractère de la Sally qu'elle connaissait.

Le médecin avait l'air sombre. Il ne prit pas de gants pour annoncer à Sally que les dommages sur sa colonne vertébrale avaient occasionné de graves séquelles. Ses jambes étaient touchées. Sally eut l'impression d'arrêter de respirer, la tristesse s'était infiltrée en elle et se propageait douloureusement. Le médecin lui expliqua que la rééducation serait longue. Très longue. Il tendit le bras pour lui tapoter l'épaule mais elle se déroba de son contact. Elle ne voulait pas être consolée.

Le médecin inspira profondément et ajouta qu'en plus, il n'avait aucune certitude sur le fait qu'elle remarcherait un jour. Le choc fut aussi violent que lorsqu'elle avait chuté sur le sol. La douleur fut presque aussi intense.

Sally resta immobile, le visage figé dans une expression de détresse totale. Et tandis que le médecin lui parlait de la suite, elle n'écoutait plus. Le vide s'était fait dans son esprit et elle employait toute son énergie à ne pas fondre en larmes.

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