Chapitre 18

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{PDV lecteur} 

       Photo après photo, Jack remplissait l'écran de l'ordinateur, la barre de défilement apparaissant minuscule en raison du grand nombre d'entre elles que je fit lentement défiler du fichier. Certaines présentaient Jack portant son masque tandis que dans d'autres il était enlevé, montrant ses orbites sans yeux et ses dents acérées comme des lames de rasoirs. Par impulsion je changa l'affichage pour que les photos soient rangées par date, et les vignettes furent immédiatement réarrangées, ainsi, les plus vieilles étaient au dessus. Agencées chronologiquement, je pouvais lentement commencer à voir une histoire se dérouler.
 
 
        Au début, Jack était défiant. La toute première photo le montrait inconscient à l'arrière de la camionnette, du ruban adhésif couvrant sa bouche et lui attachant les poignets et les jambes, son masque posé à côté de sa tête. Une fois qu'il s'était réveillé dans le sous-sol, il avait regardé la caméra d'un air menaçant, les photos le capturait tirant sur les chaînes le retenant au mur. Beaucoup de photos précédentes étaient comme ça, juste Jack essayant de se libérer. Aucune d'entre elles ne le montraient portant son masque, permettant une vision claire de son expression, pleine de rage et de colère.
 
 
       Une photo en particulier attira mon attention. Sa tête était inclinée vers l'arrière, ses yeux creux se fermaient et sa bouche s'ouvrait en un cri silencieux. Lorsque je là regarda, j'imagina son cri de la nuit dernière, puis son crie de panique dans la clairière, même pas deux heures auparavant. Je pouvais les entendre maintenant, venant de sa bouche sur la photo et sonnant dans les airs. Comment ai-je pu ne pas l'avoir entendu ?
 
 
        Les horodatages dans le coin inférieur de chaque photo révélèrent que celles-ci avaient toutes été prises en une seule semaine. Au cours de la deuxième semaine, il s'arrêta visiblement mal à l'aise et renfrogné, fixant la caméra et Buddy avec méfiance. C'est à ce moment-là que Buddy commença ses expérimentations, en mettant l'appareil photo sur un trépied pour se photographier en train de nourrir Jack avec force. Il attachait de la nourriture à un bâton et se tenait à une distance sûre hors de l'écran en forçant Jack à manger. Une série de photos montra que Jack refusait mais était obligé d'ouvrir la bouche et de manger malgré tout, puis de vomir ce qu'il ingurgitait.
 
 
        Ce ne fut que plus tard dans la semaine qu'il fut finalement nourri d'un rein, et Buddy utilisa clairement un tir rapide sur l'appareil photo pour capturer un flot de photos de Jack le dévorant voracement, ses dents déchirant l'organe alors qu'il en arrachait de gros morceaux . Un frisson parcourut ma colonne vertébrale pendant que je regardais les photos et je senti de la bile monter dans ma gorge. Sautant de ma place, je courus vers la salle de bain et m'agenouilla au-dessus des toilettes, les coupures et les ecchymoses sur mon cou battant alors que je vomissais mon déjeuner dans la cuvette. C'était la première fois que je voyais Jack manger, même s'il ne s'agissait que de photos, j'étais tout de même évidemment rempli de dégoût et d'horreur, mais quelque chose était pire que ça. Une plus grande question me trottait dans la tête, une question que je ne pouvais pas faire disparaître.
 
 
        D'où venait le rein ?
 
 
        Buddy ne pouvait pas vraiment aller dans une épicerie locale pour acheter un rein humain, et en se basant sur la faiblesse des bras de Jack quand je l'avais libéré, je doutait qu'il ait été libéré pour aller chasser. Seul Buddy aurait pu avoir le rein, et la question était de savoir... à qui il appartenait. Je savais. Je savais juste que Buddy avait tué quelqu'un pour l'avoir, pour nourrir Jack. Dès le mois d'avril, je vivais donc avec un meurtrier sans même avoir la moindre idée de sa vraie nature et de ce qu'il avait vraiment fait quand il était allé en ville. Mon estomac s'emballa encore plus pendant que j'y pensais, et cette fois je vomi de l'acide gastrique.
 
 
        Finalement, je m'arrêta et me pencha en arrière, ma respiration déchirée et frissonnante. Essuyant ma bouche, je tira la chasse d'eau et me lava les mains sans regarder le contenu de mon estomac qui tourbillonnait dans le bol. Je me dirigea vers la partie principale de la cabane pour prendre quelque chose à boire et ainsi laver ce mauvais goût, mais avant cela, je m'arrêta devant l'ordinateur portable et ferma rapidement la fenêtre pour me déconnecter. Stop. Je ne pouvais plus regarder les photos.
 
 
       Buvant un grand verre d'eau, je l'avala avidement, le recrachant dans l'évier, puis avala le reste. Je retournai silencieusement dans ma chambre, jetant un coup d'œil à la porte fermée de Jack. Heureusement, il n'est jamais sorti pendant que j'utilisais mon ordinateur portable, mais mon soulagement était plus pour lui que pour moi. Bien sûr, il pourrait penser que j'essayais d'obtenir de l'aide, mais pour une raison quelconque, j'étais plus préoccupé par ses réactions aux photos. Elles avaient montré certains de ses moments les plus sombres, après tout. S'il avait un SSPT comme je le pensais, je ne voudrais pas déclencher une autre crise.
 
 
       Alors que je m'asseyais sur mon lit et commençais à feuilleter mon roman, cherchant où je m'étais arrêté la nuit dernière, je me retrouva incapable de me concentrer. Mon esprit revenait sans cesse aux photos, la douleur dans mon cou, le rein... Trop. C'était trop. Les mots sur la page commencèrent à se brouiller alors que des larmes me coulaient des yeux, et avant que je ne le sache, je pleurais, je me recroquevillais sur le matelas en sanglotant doucement. 
 
 
       Tout ce que je savais, chaque souvenir que j'avais, toute ma vie jusqu'à maintenant... Je ne pouvais plus faire confiance à tout ça. 
 
 
 
{PDV Jack}

        Grognant, Jack roula dans son lit et se frotta les yeux, bâillant alors qu'il jetait un coup d'œil autour de sa chambre. Son sommeil avait été dépourvu de rêves mais étrangement agité, ce qui le rendait fatigué même après s'être réveillé. Il tendit automatiquement son bras pour attraper son masque sur la table de nuit, mais sa main ne toucha que la surface lisse du bois. Un froncement de sourcils plus tard, il fut légèrement confus pendant un moment, avant que ses souvenirs ne reviennent lentement. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale lorsqu'il se souvint de son éveil lié à l'arbre. Sa réaction avait été si pathétique, il ne pouvait pas croire qu'[Nom] avait du revenir l'aider... 
 
 
        [Nom] !
 
 
        Jack se redressa dans son lit, les yeux écarquillés. C'est vrai, il l'avait attaquée. Il sortit rapidement de son lit et se dirigea vers sa porte. La cabane était sombre, au point qu'il lui aurait été presque impossible de voir sans sa vision nocturne, et il regarda autour de lui. En avançant vers sa porte fermée, il prit doucement la poignée et la pencha vers le bas, la poussant lentement. La lumière jaillit de la fissure et remplit le couloir, il regarda à l'intérieur pour voir une forme enroulée sur le lit en une petite boule avec un roman à ses côtés, ses yeux fermés et sa poitrine s'élevant lentement à chaque respiration.
 
 
        La fixant silencieusement pendant quelques minutes, Jack se glissa finalement dans la pièce, prenant soin de ne faire aucun bruit alors qu'il s'arrêtait près de son lit. En posant le roman sur la table de nuit, il tira doucement les couvertures sur la forme endormie. Elle bougea et il se raidit, s'attendant à ce qu'elle se réveille, mais ses yeux restèrent fermés et après quelques instants, il tira tranquillement la couverture sur le reste de son corp. Une fois couverte, il s'agenouilla près du lit, examinant son visage endormi. Des larmes séchées lui tachaient les joues, il commença à s'approcher pour les atteindre et les essuyer avant de s'apercevoir qu'il avait du sang sur son doigt. Au lieu de cela, il éteignit tranquillement la lampe, enveloppant la pièce dans l'obscurité, et ferma silencieusement la porte.
 
 
        En expirant doucement, Jack s'appuya contre le mur quand il se rendit compte soudainement d'une douleur aiguë à l'arrière de sa tête. C'est alors que le reste de ses souvenirs revint : pendant qu'il l'étranglait, elle l'avait frappé dans les noix puis à la tête avec un caillou. Rapidement, il entra dans la salle de bain et alluma la lumière pour pouvoir voir clairement son reflet et soigner les blessures. Comme il tordait la tête sur le côté, il grimaça en voyant une masse ensanglantée au dos de sa tête. Elle ne s'était vraiment pas retenue. Cependant, il ne c'était pas retenue contre elle non plus.
 
 
        Une pointe de culpabilité l'emplit alors qu'il se rappelait de l'ecchymose et les saignements qui lui couvraient le cou, grimaçant à ce souvenir. Il ne voulait pas la blesser comme ça. Après avoir tué le campeur et avoir trouvé [Nom] parti, il avait paniqué et pensé qu'elle s'enfuyait. Rétrospectivement, il était évident que ce n'était pas le cas, il n'y avait aucun endroit où elle pouvait aller, et il y avait des signes qu'elle avait travaillé sur le mannequin pendant qu'il était parti, mais à ce moment-là il était trop paniqué pour remarquer ces signes. La colère l'avait emporté et, par conséquent, il l'avait finalement blessée. Horrible, mauvais, cruel. C'était ce que son visage disait quand ses mains étaient enroulées autour de son cou. Un monstre, c'est tout ce qu'il était dans ses yeux. 
 
 
        Et pour une raison quelconque, ça faisait mal.
 
 
        Alors qu'il la voyait comme son animal de compagnie, au final [Nom] était toujours son sauveur. Jack avait juré silencieusement de ne jamais lui faire de mal physiquement, mais il avait laissé sa colère prendre le dessus. La culpabilité le rongeait alors qu'il ouvrait l'armoire pour retirer la trousse de premiers soins. Bien sûr, il aimait faire peur à [Nom], mais il essayait toujours de se rattraper plus tard. Elle était l'ange qui l'avait tiré des ténèbres et entrainé dans la lumière, celle qui lui avait donné l'espoir après s'être sentis si impuissant. Il ne voulait pas qu'elle le déteste, réellement.
 
 
        Pourquoi ne s'était-elle pas enfuie ? Pourquoi n'avait-elle pas essayé de l'achever sinon ? Pourquoi est-elle revenue pour lui ? Pourquoi l'avait-elle ramenée ? Était-ce juste de la peur ? Ou était-ce autre chose ? Cela n'avait aucun sens, et d'une manière ou d'une autre, il avait le sentiment qu'elle ne le savait pas nécessairement non plus. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait foiré, vraiment foiré. Soupirant, il ouvrit la trousse de premiers soins pour commencer à soigner ses blessures. 
 
 
        Ce faisant, il ne pouvait s'empêcher de remarquer que la douleur dans sa tête n'était rien comparée à la douleur quand il se souvenait de ce regard sur son visage.

Chains (trad.)Where stories live. Discover now