Chapitre XVII

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>JEHAN

La barrière mentale venait de voler en éclat : celle que j'avais érigée pour empêcher que cette prise de conscience ne se produise. J'avais refoulé ce souvenir au plus profond de sa mémoire et j'étais persuadé qu'elle ne s'en souviendrait plus jamais. Ou presque. Je m'étais fourvoyé. Notre lien lui avait donné une puissance capable de détruire l'emprise de mon pouvoir. Mon visage lui avait permis de se rappeler car c'était la première chose qu'elle avait vue en ressuscitant soudainement.

J'avais pris des précautions mais il fallait admettre que je n'avais pas été assez prévoyant.

Sans bouger, je scrutai son expression, son visage si expressif qui me renvoyait l'intégralité de ses pensées, de ses sentiments intérieurs que je ne pouvais pas ressentir. Ses yeux clairs devinrent vitreux puis des larmes coulèrent sans discontinuer sur ses joues creuses. Elle demeura immobile, les mains toujours plaquées sur mon torse, assise à califourchon sur moi. Son regard envahi par les larmes ne se détachait pas de mon visage.

C'étaient les conséquences de mes actes sur une humaine instable.

Sa lèvre inférieure se mit à trembler et plusieurs émotions, états, que j'avais examinés au fil des siècles pour en comprendre la signification, traversèrent ses pupilles.

La terreur. L'incrédulité. Le choc.

Elle se redressa lentement avant de se laisser lourdement tomber sur le canapé, loin de moi. Elle regarda ses mains tremblant comme des feuilles, l'air lointain. Je m'assis normalement à mon tour, les yeux posés sur elle.

La panique. L'accablement.

« Je suis morte. Je suis morte. Je suis... comment... c'est impossible, sanglota-t-elle, désespérée. J'ai été tuée. J'ai été assassinée. J'ai... je suis morte depuis cinq ans. Mon père est mort à cause de moi...»

Je ne cernais pas vraiment les raisons d'un tel chamboulement. Elle était vivante, désormais. Elle n'avait plus de quoi angoisser, sa mort n'avait été qu'un vague passage qui l'avait menée jusqu'ici. Son âme était restée presqu'intacte. Tout cela me paraissait dérisoire. Et même si je m'étais forcé à essayer de connaître parfaitement le fonctionnement des humains depuis ma naissance, je n'arrivais toujours pas à comprendre certaines de leurs émotions de manière profonde. C'était trop complexe, trop étranger.

Je n'avais jamais rien ressenti.

La colère.

Vivement, elle tourna la tête vers moi et accrocha ses yeux désormais parcourus de cette émotion violente et dangereuse aux miens. Elle se mordit la lèvre et voulut se jeter sur moi. Je me matérialisai un peu plus loin, en une demi-seconde, de l'autre côté de la table basse. Elle tomba sur le canapé mais se releva bien vite pour monter sur la table, la traverser et s'arrêter devant moi. Elle me bouscula contre le mur. Mon attention toujours rivé à cette boule de pulsions humaines incompréhensibles, je sentis ses mains s'emparer de mon t-shirt pour m'attirer à elle. Je me courbai sans me défendre et la fixai.

« Pourquoi t'as fait ça ? Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Tu tues une fille de douze ans et tu la fais revivre pour sauver ce foutu peuple qui n'est même pas le sien ? Tu as tué mon père ! Tu nous as tués tous les deux ! T'as un sérieux problème ! T'as aucun droit sur la vie des gens, bordel ! Je ne suis pas une marionnette ! »

Ses joues prirent une teinte rouge.

« Les humains sont des marionnettes depuis longtemps. Vous êtes dirigés par vos émotions, par les gouvernements, par les forts quand vous êtes faibles. J'agis comme eux.

AU-DELÀWhere stories live. Discover now