Chapitre XXXV

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>NESS

    Une paix inquiétante régnait dans l'habitacle une fois que nous eûmes quitté le cimetière. Personne ne parlait. Chose très inhabituelle quand on connaissait bien Gabriel et Terance. Ces derniers occupaient d'ailleurs les places à l'avant tandis que j'avais écopé des sièges à l'arrière. Mes doigts tapotaient nerveusement le cuir et j'observais les bâtiments à travers la vitre teintée. Pendant une fraction de seconde, j'eus l'impression de retourner à Clupérusce, de me trouver dans la voiture de mon père, de profiter d'un trajet en sa compagnie tranquille pour aller simplement au supermarché. Comme ravivé par l'enterrement de Judith, le souvenir de sa mort me brûlait les yeux.

    Lorsqu'il était décédé, il y a cinq de cela, je ne m'étais pas autorisée à pleurer par égard pour ma mère, pour l'aider à supporter sa souffrance face au décès de l'amour de sa vie. Et puis... j'avais remarqué, sans pour autant m'en formaliser, que mon esprit était ailleurs, déconnecté et comme loin de la réalité. Maintenant, je savais pourquoi. Ma résurrection avait agi comme un annihilant. Pendant quelques jours, je n'avais plus été capable de ressentir quoi que ce soit. Et lorsque mon cœur s'était vraiment réactivé, j'avais enfoui ma peine au plus profond de mon être, de sorte à ce que rien ne ressorte. Même quand Gabriel avait disparu, seule l'indifférence avait été montrée aux autres alors que la boule de tristesse perpétuelle prenait de plus en plus de place dans mon corps.

    Jusqu'à devenir trop destructrice.

    Et elle l'était toujours.

    J'essuyai vivement une larme traîtresse et abandonnai ma contemplation nostalgique des rues et bâtiments. Devant moi, Gabriel s'était remis à parler et s'adressait au vampire. Aucune animosité était présente. Ils avaient, pour une fois, un contact amical et poli. Un grand exploit. À croire que la mort de Judith avait calmé leur comportement puéril.

    Soudain, Gabriel freina si brusquement que je faillis me prendre le siège de Térance en pleine face. Je plaquai mes mains sur le cuir, ahurie.

    « J'ai connu des freinages plus tendres, commenta le vampire.

    - Qu'est-ce qui te prend ?

    - C'est quoi ce foutoir », s'exclama Gab pour toute réponse.

    Je me décalai et aperçus, interloquée, une horde de surnaturels manifestant en pleine rue. Une masse noire de gens obstruait le trafic et d'autres véhicules avaient été immobilisées, dans l'incapacité de continuer leur route. J'entendis la foule crier des paroles incompréhensibles.

    « Qu'est-ce qui se passe ? »

    Térance illustra à merveille mon expression par ses paroles. Qu'est-ce que ces gens trafiquaient ? C'était incompréhensible. Pourquoi est-ce qu'ils étaient dehors ? Tous ? Gabriel se retourna et voulut effectuer une marche arrière mais à la vue de son front plissé, je compris que nous venions d'être encerclés. Les manifestants passaient désormais autour de la voiture. Agacé face à son ignorance, Térance finit par baisser la vitre et s'emparer d'un t-shirt qu'il colla contre la portière.

    « Qu'est-ce que vous faites ?

    - C'est quoi ton problème, petit ? Sors de ta bagnole pour le savoir. »

    Térance montra les crocs et je vis ses iris flamboyer dans le rétroviseur.

    « Réponds-moi, imbécile.

    - On veut voir la Mortalis Anima de nos propres yeux, on en a marre que la Noirceur nous mente. »

    Le vampire le laissa s'en aller et referma la vitre alors que je persistais à fixer l'endroit où s'était tenu l'homme. Il voulait voir la Mortalis Anima. Il voulait me voir, moi. Maintenant. J'eus du mal à avaler ma salive. Mon dos se colla au siège et mon regard se perdit dans le noir luisant du cuir.

AU-DELÀWhere stories live. Discover now