Chapitre XXXVI

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À quoi je pensais exactement ? Je croyais qu'ils allaient prévoir leur libération dans les moindres détails ? Qu'ils allaient tous être complètement droits et calculateurs comme à l'armée ? Qu'ils avaient préparé un joli petit calendrier et choisi leur date pour s'évader ? Sérieusement, est-ce que j'étais aussi stupide pour penser que ces gens qui criaient vengeance ou liberté à tout bout de champs attendraient que je sois prête pour sortir ? Il fallait croire que c'était le cas.
Sans réfléchir, perturbée par le contact des mains plus brûlantes de Jehan sur ma peau, j'avais lâché un oui à l'intention de Victoire dont le visage s'était éclairé d'excitation. Mais bien sûr, les premiers surnaturels n'avaient pas attendu mon accord pour se jeter sur les brigades mystères. Elles avaient disparu, elles, leurs armes et leur bolide, sous l'attaque violente d'une centaine de créatures magiques en colère et désireux de fuir le secteur. Leurs coups de feu s'étaient noyés sous la magie.

Ils ne pouvaient pas faire machine arrière. Leur détermination était lancée, soutenue par le Nébuleux qui m'embrassait la nuque comme pour me remercier.

Mais j'étais paralysée.

Mon regard balayait cette nouvelle armée avec une perplexité horrifiante. J'avais peur de faire encore et toujours les mauvais choix. J'avais peur qu'à cause de moi, les humains soient détruits, anéantis. J'avais peur d'avoir commis une grave erreur.

Car soit ma décision d'aider ce peuple était la plus grosse connerie de ma vie, soit la plus belle chose qui pouvait arriver. En revanche, un sentiment horrible ou ma conscience pessimiste me soufflait que rien n'allait se passer comme prévu. J'étais synonyme de destruction depuis que j'étais revenue de l'au-delà et lui, la définition même de ce mot depuis sa création. Alors comment les choses pouvaient-elles se dérouler de la bonne manière ainsi dirigées par les professionnels de la Mort et de l'horreur ?

Au ralenti, je vis les habitants du Secteur 13 courir en direction de la Forêt. Même mon armée. Je demeurai interdite, avalée par l'angoisse qui me tenaillait et bloquait mon esprit sur une image plus que terrifiante.

Je ne voyais rien d'autres que du noir, pas d'espoir, surtout pas d'espoir. Surtout pour mon peuple. Comment les surnaturels et les humains pouvaient-ils se mélanger s'ils se considéraient comme deux peuples différents ? Un racisme destructeur basée sur la haine millénaire qui consumait les créatures magiques qui peuplaient des prisons, l'illusion d'une ville où ils avaient vécu pendant des décennies sans se rebeller menait cette révolte.

Et alors que je n'avais pas esquissé le moindre mouvement, les ruines se dessinèrent devant moi. Là, toujours là, supportant le poids du passé et bientôt écroulée par le semblant de présent qui les maintenait debout. Ce sol déjà souffrant que j'avais foulé depuis toute petite allait certainement pleurer à nouveau, gémir à nouveau. J'espérais la paix mais qui la voulait réellement ? Et comment sauver son peuple sans causer la perte d'un autre ?

Dans mon dos, je percevais les souffles lourds, profonds des légendes vivantes, leur excitation nouvelle qui les faisait se sentir vivant. Les morts s'étaient alignés derrière moi, Victoire et Jehan à mes côtés. Et devant nous, s'étendait la liberté à perte de vue, mais cachée par les dizaines de char de guerre, les soldats humains et l'Armée Bleue qui nous observaient par-delà la limite multicolore qui ondoyait entre les arbres. Ce dôme qui avait empêché la guerre, la paix, l'alliance de deux civilisations différentes. Mon sang pulsait dans mes veines, mon cœur semblait vouloir s'échapper de ma poitrine et ma main tenait fermement celle de Jehan qui souriait vraiment pour la première fois.

Mes lèvres finirent par s'étirer lentement. Même si je craignais une bataille sanglante et vengeresse, je ne pouvais qu'être heureuse pour ces gens car je comprenais leur colère. Comme Jehan me l'avait dit : je n'aurai jamais pu les abandonner. J'allais pouvoir donner une nouvelle vie à mes nouveaux amis, leur donner la possibilité de vivre comme ils l'entendaient, de suivre leur existence comme moi je l'avais fait jusqu'à aujourd'hui.

AU-DELÀWhere stories live. Discover now