Chapitre 12 : Parker

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Je me sens terriblement mal depuis qu'il est entre les barreaux. Je me sens mal parce que je ne peux rien faire pour le sortir de là. Personne ne comprend mon état. Ma mère sait que je l'ai revu mais je ne lui ai pas donné de détails. Je ne veux pas la contrarier. Elle est malade. Elle a bien assez de soucis comme ça. Mon père lui, se démene au travail tout en étant assez souvent absent lors de ses jours de repos. Il dit de ne pas nous en faire. Que cela va servir à quelque chose. Qu'il va réparer certaines choses. Je lui fais confiance même si je ne sais pas de quoi il parle. Et puis, on a besoin de lui près de nous. Un maximum.

Dès que ça m'a été possible, j'avais demandé un droit de visites pour aller voir Travis au pénitencier. Ça avait été refusé sans aucun motif valable. Puis une seconde fois. Et une troisième. Encore et encore... J'avais besoin de le voir de mes propres yeux. Les informations que me donnait Arley n'étaient pas suffisantes surtout qu'en son absence il s'était déjà fait tabasser au point de finir à l'hôpital. Il n'était pas capable de me dire pourquoi je n'avais pas jamais eu l'autorisation de le voir. Pourtant, je sais qu'il est bien placé dans cette prison. À cause de son père qui a déjà magouillé avec le directeur lors d'un de ses brefs séjours là-bas. C'est d'ailleurs à cause de ce dernier qu'il me devait un service.

Travis sait qui je suis. C'est certain. Il doit bien se douter que je sais qui il est lui aussi. Il doit se sentir abandonné. Il doit terriblement m'en vouloir. Au moins, je me dis que même s'il fait ça pour me rendre service, mon pote gardien veille sur lui depuis le début. C'est un homme de parole. Je ne peux pas lui reprocher de faire des promesses en l'air.

Isaac qui fait toujours une fixation sur cette affaire me harcèle de questions bien que nous ne soyons plus aussi proches qu'avant. Tout au plus
sommes nous de simples collègues. Il a mis les choses à plat pour ne pas risquer de faire écrouler sa relation avec Connor. Je le comprends bien évidemment. C'est lui qu'il aime et qu'il veut. Moi, je me suis juste rendu compte que j'avais agi comme un imbécile à m'accrocher à lui. Je l'aimais beaucoup certes, mais je me rends compte que c'est surtout ma solitude qui m'avait poussé à vouloir tenter quelque chose avec lui. C'était stupide. Quand il pose des questions sur Travis, je lui demande simplement de ne pas me parler de lui. Pas parce que je m'en fiche, bien au contraire. Parce que c'est trop dur. Tout simplement.

Nous pensions tous que cette histoire de réseau de drogues, de prostitution - parce que oui, il y avait de ça aussi - sans compter des soupçons de meurtres, était enfin terminée avec la mise en cabane de la petite bande. Nous étions loin du compte. Si le maître ici était Edward Maxwell, il y a toujours quelqu'un au dessus. Bien entendu, les choses s'arrangent pour notre petite ville mais dans les quartiers les plus défavorisés, la misère ne prend pas de repos. On a compris qu'il y en avait d'autres. Bien plus puissants qu'eux. Travis n'était qu'un pion sur l'échiquier. Il doit purger cinq ans. Il en a déjà fait un peu plus de deux aujourd'hui. À sa sortie, il sera attendu de pied ferme s'il se fait remarquer. Je n'en doute pas. C'est pourquoi, même si je ne suis rien de plus qu'un simple petit agent de police, dans mon coin, je bosse sans relâche pour essayer d'obtenir des infos sur les autres membres de ce beau merdier. Pour qu'il soit libre de ses mouvements une fois dehors. Qu'il ne risque rien. Je veux le protéger à mon tour.

J'espére le revoir. Lui dire qu'on peut rattraper toutes ces années perdues. Redevenir les amis que nous étions. Je n'avais pas oublié son visage d'enfant mais celui de l'adulte qu'il est devenu me hante. Son air triste et vaincu. Ses yeux magnifiques et plein de détresse. Je pense que si nous nous retrouvons seuls tous les deux, si nous débutons une nouvelle relation, je pourrai faire renaître les étoiles dans son regard. Il riait peu mais avec moi, ne se privait pas. Je veux faire ça de nouveau. N'importe quoi pour lui prouver qu'à l'extérieur, quelqu'un est prêt à demander pardon et à tout faire pour gagner de nouveau sa confiance d'abord, puis son affection.

Je fais des plans sur la comète. Je m'emballe furieusement et sans doute pour rien. J'ai connu un garçon d'une extrême gentillesse, d'un douceur et d'une bonté qui pourrait rivaliser avec celle d'Isaac. Mais qu'est devenu cet enfant aujourd'hui ? Il a laissé place à un homme qui semble avoir trop vécu pour quelqu'un de son âge. Acceptera-t-il mes excuses, voudra-t-il seulement écouter ce que j'ai à lui dire ? Si ça se trouve, jamais il ne remettra les pieds dans ce foutu patelin. Mais je me dois d'être optimiste.

Quand je tiens compagnie à ma mère qui devient de plus en plus faible et que mon père rentre, souriant, qu'il se penche pour embrasser ma joue et prendre soin de sa femme, alors je me dis que je peux garder espoir. Je dois le faire. Sinon, je n'ai plus rien. Mes parents veulent que je leur parle des maux qui me tourmentent mais je refuse. Parce qu'ils ont déjà bien assez de soucis en tête entre le boulot de médecin du premier qui lui prend quasiment tout son temps et la maladie de ma mère qui gagne chaque jour un peu plus de terrain. Les encombrer avec mes pensées ne servirait à rien d'autre qu'à les inquiéter. Je ne veux pas être un poids en plus pour eux.

Je deviens l'ombre de moi-même. Je n'ai le goût de rien. Plus aucune envie. Je ne sors plus. Je ne fais plus aucune rencontre. Je reste cloîtré chez moi quand je ne suis pas auprès de ma mère ni au boulot.

Le chef a voulu me forcer à prendre des vacances mais si on m'enleve la possibilité de travailler, il ne me reste rien en attendant de revoir Travis. Parce que je ne perds pas espoir de pouvoir enfin être face à lui et lui dire ce que j'ai sur le cœur. Je me demande si mon collègue lui a fait passer le message. Si c'est le cas, il doit penser que j'ai menti. S'il ne l'a pas fait, alors il croit sans doute que je l'ai définitivement abandonné.

J'ai tenté une fois de plus de savoir pourquoi je ne pouvais pas aller le voir. Arley m'a dit, encore, qu'il ne savait rien mais je ne le crois plus. C'est évident qu'il est au courant des refus de la prison. Je me demande même si ce n'est pas sa faute. Parce que je le connais. Je sais que même s'il a eu peu d'aventures avec des hommes, il n'est pas insensible à leurs charmes. Peut-être qu'à cause de ce que je lui ai demandé, il a développé de l'affection pour lui et qu'il ne veut pas que je débarque pour tout foutre en l'air. Il ne peut pas me le prendre. Je ne veux pas qu'il gâche la moindre petite chance que je peux avoir de renouer avec Travis. C'est ma faute. L'embarquer dans tout ça n'était peut-être pas le mieux que j'avais à faire.

Quand je suis arrivé au travail ce matin, le chef est passé devant moi en souriant. C'est assez rare. Je pense qu'il a dû avoir une bonne nouvelle. Mais laquelle ? Je suis curieux de nature mais je ne lui pose pas de questions. Il n'a pas de comptes à me rendre après tout.

Je lâche un soupir en allant m'installer dans le petit box où je bosse. Deux ans et demi déjà... Plus de deux longues années à chercher toutes les solutions possibles et imaginables pour entrer en contact avec lui. Parce que même les lettres que j'ai envoyées me sont revenues. Je suis persuadée qu'il ne les a pas eues. Il ne peut pas les avoir refuser. C'est impossible.

-Salut Parker, je crois qu'on te demande à l'accueil, me dit Isaac en grimaçant.

-Ça va ? T'as l'air bizarre.

-Non. Pas du tout...

Si. Il est étrange. Nerveux. Qui peut bien m'attendre ? Je me lève et l'estomac noué, je traverse le couloir pour me rendre dans le hall où se situe le petit bureau d'accueil ainsi que la salle d'attente. Je manque de défaillir sous la violence des sentiments qui me percutent.

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