Semaine 1 (Arc 1 : Anton Dalle)

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Lettre de Samuel

Bonjour Jean,

        Cela fait longtemps et tu ne dois probablement plus t'attendre à recevoir des nouvelles de moi. Je crois que je te dois des excuses. Tu avais raison depuis le début. Peut-être que les choses auraient pris une tournure différente si je t'avais écouté, il y a 5 ans. Tout s'est déroulé exactement selon tes prédictions. Incapable de passer outre, j'ai perdu mon travail, ma maison et tout ce que je possédais. Tout est parti en fumée, consumé par mon chagrin et ma colère.

        Malgré nos différends, ton amitié a toujours énormément compté pour moi. Je regrette particulièrement t'avoir perdu de vue sachant que tu étais mon meilleur ami et le seul à croire en mon innocence. Tu sais, même après cinq ans, je me souviens encore du regard de ma femme qui me fixait sans vie dans notre lit. Je revois son teint blanc et ses lèvres retroussées qui laissaient entrevoir des dents qui ne devraient pas se montrer si elle dormait. Depuis, je n'ai pas passé une seule nuit sans me remémorer le visage de ma fille. C'est impossible d'oublier. Même l'alcool n'y est pas parvenu. J'ai pourtant essayé avec tout ce que j'avais. Dès qu'il fait noir et que je ferme les yeux, j'entends ses "Papa !" joyeux et je l'imagine courir vers moi pour se jeter dans mes bras. Le plus dur, avec les souvenirs, c'est de savoir que l'on ne pourra plus jamais les revivre tout en se torturant à regarder encore et encore le même film.

        J'en ai tabassé des gens pour le boulot, mais comment la police a pu penser une seule seconde que j'aie pu tuer ma femme et ma fille, puis dormir comme un bébé à côté d'elles ? Pourtant, sans un vice de procédure, je pourrirais clairement en prison.

        J'ai mis du temps, mais j'ai décidé de laisser le feu de colère qui brûle en moi, me consumer également. Je retrouverai le salopard qui a fait ça. Je l'étranglerai de mes mains. Prendre sa vie sera le but de la mienne. Je n'ai plus rien à perdre et je n'espère plus rien de mon existence.

        Je ne te demande évidemment pas de participer à mon voyage. Il ne peut que mal se finir et je l'ai déjà accepté. Tu sais, j'ai mis des semaines à écrire cette lettre. Je crois qu'au fond de moi, j'avais besoin d'un témoin. J'avais sûrement besoin de savoir que tu as bien existé et que je ne suis pas un détraqué, que je ne les ai pas tuées dans un élan de folie meurtrière pour tout oublier quelques heures après. Consumé par la haine et incapable de comprendre comment tout a pu se passer sans aucune preuve restante et sans me réveiller, je crains que tu ne sois l'ultime garant de ma santé mentale.

        Dans l'immédiat, je dois chercher mon dernier "client". Je suis persuadé que tout est parti de là. J'écrirai une autre lettre dès que j'aurai retrouvé sa trace.

Samuel Hickspratt

L'Appel du ColibriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant