Semaine 32 - 2/3

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Lettre de Samuel

Jean,

        Notre amitié me manque. J'ai l'impression que cela fait une éternité que je ne t'ai pas parlé. Ces lettres se perdent sûrement alors je suppose que cela ne fait aucune différence qu'elle te soit adressée ou non.

        T'ai-je déjà raconté comment nous nous sommes rencontrés, Julie et moi ? C'était durant un été. Je me souviens qu'il faisait une chaleur étouffante ce jour-là. En réalité, nous aurions dû nous croiser sans jamais prêter attention l'un à l'autre. Je marchais dans la rue quand j'ai entendu un cri juste à côté de moi. Quelqu'un avait dû la heurter et le café qu'elle tenait à la main s'était renversé sur elle. Je ressens toujours à la fois de la honte et de la fierté concernant ce qui a suivi. De la honte parce que je n'ai pas pu m'empêcher de fixer un moment son débardeur trempé, au travers duquel je pouvais apercevoir sa poitrine par transparence. De la fierté parce que j'ai terminé en réalisant une bonne action importante pour le reste de ma vie. C'était en semaine et j'allais donner mes cours de boxe. Pour m'excuser de l'avoir fixée aussi impoliment, je lui ai proposé un maillot de rechange que je transportais dans mon sac. Je me souviens que j'étais vraiment gêné sur le moment. C'est amusant, non ? Je devais avoir l'air timide alors que, restons honnête, je ne suis pas du genre à être facilement ému par ce qui arrive aux autres. Ce jour-là, elle a pris mon numéro pour pouvoir me rendre le t-shirt. C'est de là que tout est parti : une simple bousculade avec une inconnue et un café renversé un jour d'été.

        Dis, j'ai fait le bon choix ce jour-là ? Malgré la peine que je ressens actuellement, j'ai bien fait de vivre un temps à ses côtés ? Je commence à me demander si le mauvais ne l'emporte pas sur le bon. Non. Aurore ne sera jamais une erreur dans ma vie. Son rire cristallin, leur amour à elles deux, ainsi que tout le soutien que Julie m'apportait, valent plus que ces années de souffrances. Et puis, ne pas les rejoindre et vivre dans la douleur reste mon choix. C'est mon choix, n'est-ce pas ? Je crois que ces cauchemars sont en train de me retourner la tête.

        Je ne me souviens jamais de rien. Je me réveille seulement en sueur d'un rêve vide. C'est comme si le néant m'effrayait. Depuis la Suisse, j'ai l'impression que quelque chose s'est détraqué en moi. Cette comptine tourne sans cesse dans ma tête. Le chant du Colibri. Je ne trouve rien sur internet. Seuls les deux premiers vers existent. Le troisième a probablement été inventé par cet assassin. Je n'ai pas vraiment laissé le choix à Montferrat et il m'a raconté toute l'histoire dans les moindres détails. Sa fille est restée traumatisée, mais lucide, durant quelques semaines après l'enlèvement de sa mère et elle. Elle a ensuite sombré dans une folie qui ne l'a plus quittée depuis six ans. En fait, plus le temps passe et plus elle plonge profondément. Les médecins semblent incapables de la soigner, probablement car elle ne souhaite pas elle-même guérir et revenir dans le monde normal. Le Colibri se trouvait tout du long avec elles, mais Dominique n'a jamais vu son visage : il ne se situait pas dans la même pièce qu'elles. Il suivait l'évolution de son jeu morbide à l'aide d'une caméra et il les tourmentait régulièrement par micro interposé. Elle a entendu ces vers encore et encore jusqu'à en devenir folle et sa mère a enfoncé le dernier clou sur le cercueil de sa santé mentale en l'obligeant à survivre à ses dépens. La première fois, je n'avais pas eu les détails de tout cela. Maintenant, je sais tout. Je crois que je serais moi-même ressorti traumatisé par ce qu'elles ont vécu. Je ne me considère pourtant pas comme quelqu'un de facilement impressionnable. Quand Montferrat et Maudiet m'ont torturé, je ne craignais pas leurs coups. Pour elles, c'était différent : le Colibri s'est attaqué à leur esprit et non à leur corps. Avoir le sang de ses proches sur ses mains est un crime que personne ne doit pouvoir se pardonner. Il existe des choses qui ne peuvent que nous grignoter jusqu'à la fin, des événements que l'on ne peut oublier, que l'on ne peut surmonter. Dominique ne reviendra pas de là où elle se trouve actuellement. C'est une évidence pour moi. Son père a dû le comprendre également depuis longtemps.

L'Appel du ColibriTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang