Semaine 29

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Lettre de Samuel

Anton,

        Je vais bientôt pouvoir donner un sens à ta mort. Il s'est écoulé tellement de temps depuis ce jour-là. Beaucoup de choses ont changé : un conflit a éclaté, des vies sont tombées, une nouvelle maison m'a ouvert ses portes et une présence singulière s'est invitée à mes côtés. Certaines autres sont restées immuables : le souvenir de Julie et d'Aurore me pousse toujours à me débattre, à chercher une réponse et à détourner les yeux de la folie de mes actes passés.

        Ton cercueil de terre est-il toujours à ton goût ? Je mériterais sûrement le même, mais j'ai encore un but. Pourquoi vivais-tu ? Rien de tout ce que tu m'as dit ne laissait entendre que tu possédais une raison d'exister. À quoi bon s'acharner si rien ne nous tire vers l'avant ? Est-ce que je crains en ce moment de perdre ma motivation à avancer et de me retrouver comme toi ? Rencontrer Montferrat me stresse énormément ces derniers jours. Tout semble pourtant prêt pour mardi. J'ai réglé les choses avec Godric et j'ai la journée libre. Montferrat, ce politicien véreux, a accepté le lieu et la date que je lui ai imposés. J'ai un moyen de pression efficace sur lui et j'ai également imaginé plusieurs plans de secours pour parer aux imprévus. Alors pourquoi ? Pourquoi cette voix ne veut-elle pas se taire ?

        Dans sa lettre, Calvin avait évoqué la mauvaise intuition qu'il avait eue avant l'enlèvement de Godric. Il est mort ce jour-là. Ce sentiment ne me lâche pas. L'approche de ce mardi m'inquiète comme si je savais avec certitude que cette rencontre allait mal tourner. J'ai pourtant bien préparé le terrain et sa réputation est une faiblesse que je peux exploiter avec efficacité. Je pense que je ne redoute pas tant la confrontation avec Montferrat que les réponses qu'elle pourrait m'apporter. Ça devient stupide. Je ne comprends pas pourquoi ce sentiment ne veut pas mourir et me laisser en paix. J'approche petit à petit de ce que je cherche depuis des mois. Cela devrait me réjouir et non m'inquiéter.

        Quel que soit l'endroit où je regarde, tout se déroule pourtant pour le mieux. Alona a même commencé à s'ouvrir et me parler d'elle. Elle semble placer un début de confiance en moi et je ne crois pas que la liste de règles soit la seule raison à cela. Une fois son récit entamé, elle n'a plus hésité et elle a également répondu naturellement à mes questions. J'espère vraiment que cette liste la poussera à aller plus loin et qu'elle ne fera pas que la suivre aveuglément. Je voulais d'ailleurs profiter de son état d'esprit positif pour l'aider à affronter sa peur de l'extérieur, mais je pense être allé trop vite en besogne. Je vais lui laisser du temps. De toute façon, je dois me concentrer sur les événements de la semaine prochaine et ce sera pour le mieux comme ça. Une fois à l'aise, elle me fera bien savoir quand elle sera prête. Aujourd'hui, elle m'a même demandé quel film nous allions regarder demain soir. J'y vois un signe de progression : elle n'a jamais agi ainsi auparavant. J'ai bien tenté un trait d'humour sur le coup, mais aucun sourire n'est venu éclairer son visage. Il est probablement trop tôt pour cela. J'aimerais lui permettre d'être heureuse. Le rire d'Aurore reste l'un des plus beaux cadeaux que la vie m'ait offerts. Maintenant, il représente aussi l'un de mes plus grands regrets.

Samuel, le dernier à connaître ton adresse

Journal d'Alona

Lundi 8 octobre 2018

Samuel m'a apporté deux livres aujourd'hui. J'ai respecté toutes les règles la semaine dernière alors il doit être content. J'angoisse un peu moins depuis que dimanche est passé. Je croyais que parler de Nick serait compliqué, mais ce n'était pas le cas. C'était un menteur. Je n'ai aucune raison de prendre soin de mes souvenirs avec lui. Le seul important maintenant, c'est Samuel.

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now