Semaine 34 - 2/3

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Journal d'Alona

Jeudi 8 novembre 2018

J'existe pour Samuel. J'ai tant rêvé de ce moment. J'ai toujours du mal à me convaincre que c'est pour de vrai et que je n'ai pas imaginé tout ce que l'on s'est dit cette nuit-là. J'ai encore les feuilles d'hier avec moi alors je sais que cela s'est réellement passé. De tous les mots de Samuel, ce sont mes préférés. Je sais que c'est bizarre, mais je me suis endormie en les gardant près de moi.

Vendredi 9 novembre 2018

Ce soir, Samuel a recommencé comme hier après le repas. Je rédigeais mes mémoires et il est venu s'installer en face de moi sur la table pour écrire dans le carnet que je ne connaissais pas. Quand je lui ai demandé ce qu'il faisait, il m'a dit qu'il essayait de composer des poésies. C'est un peu étrange de le voir écrire en même temps que moi, mais c'est aussi agréable.

Depuis mercredi, je me montre telle que je suis à Samuel parce que je veux qu'il voie plus de celle que j'ai toujours cachée pour la protéger. J'ai souvent honte de le laisser voir mes émotions et encore plus lorsque je me montre curieuse, mais je crois que j'aime aussi beaucoup qu'il me voie sans aucun masque. Je voudrais qu'il en découvre plus même si j'ai tout le temps l'impression d'être nue dans ces moments-là. Je ne crains pas d'exposer mon corps. Beaucoup trop de gens l'ont vu. Il n'est plus à moi depuis longtemps, mais c'est la première fois que quelqu'un regarde mon cœur et j'ai un peu peur de sa réaction. J'espère que celle que je suis lui plaît. Est-ce que tout le monde ressent cela en se révélant à un autre ? Est-ce que tout le monde appréhende d'être jugé comme moi en ce moment ?

Samedi 10 novembre 2018

Je peine à trouver comment décrire aujourd'hui. J'ai ressenti tant de choses. Si, je sais. Le mot le plus important est liberté. Je me suis sentie libre pour la première fois depuis que j'ai été vendue.

La semaine dernière, j'avais demandé à Samuel de me dire que "tout ira bien". Pourtant, dès que j'ai posé un pied dehors, les mots ont cessé de faire effet et je me suis réfugiée à l'intérieur avant de m'écrouler par terre. Je crois que je n'étais pas encore prête. Aujourd'hui, je suis sortie sans l'aide de Cécile. Savoir que j'existe pour Samuel m'a donné la force qu'il me manquait pour le faire. Je savais aussi que je pouvais lui faire totalement confiance alors j'ai fermé les yeux et je m'en suis complètement remise à lui. Pendant qu'il me guidait vers un parc, j'ai retrouvé la sensation de ce soir-là sur le canapé quand il a posé sa main sur mes yeux. Je me trouvais une nouvelle fois très proche de lui. J'ai senti son cœur et il pouvait également toucher le mien. Même si j'ai dû utiliser les mots une fois dehors pour résister à une crise d'angoisse, je sais que j'ai réussi à me libérer aujourd'hui. J'étais nerveuse et très excitée en même temps.

Je lui ai aussi raconté en détail ce qui s'est passé cette nuit-là dans le port. Samuel n'a jamais douté de mon récit contrairement à Cécile. Après cela, je me suis sentie plus légère et j'ai ouvert les yeux pour regarder le soleil. C'était comme si je redécouvrais sa lumière et sa chaleur pour la première fois. C'était comme si je redécouvrais tout pour la première fois. Le monde était le même et aussi complètement différent. Tout me paraissait plus beau et plus vivant. Aujourd'hui, j'ai eu l'impression de renaître.

J'ai envie de revivre des journées comme celle-là. Je pense que c'est pour ça que j'ai demandé à Samuel si je pouvais rester près de lui jusqu'à ce qu'il atteigne son but. Je redoute beaucoup l'arrivée de ce moment parce que j'ai peur de me retrouver seule, mais j'étais aussi sincèrement heureuse quand il a accepté.

Cette journée était vraiment l'une des meilleures que j'aie vécues et je veux en garder précieusement chaque souvenir en moi. Il y a juste une chose que j'ai ressentie qui me perturbe beaucoup même si je n'y ai pas fait attention sur le moment. Je ne l'ai pas dit à Samuel, mais quand il m'a autorisée à me servir de lui, je n'ai pas hésité un seul instant. J'ai agi uniquement dans le but de me libérer et il était d'accord pour que je le fasse. Je pense qu'il n'y avait rien de mal dans nos actes, mais ce qui me fait peur maintenant, c'est que j'ai réalisé qu'une partie de moi a pris plaisir à le voir faire tout ce que je lui demandais. J'ai senti que je possédais du pouvoir sur lui à ce moment-là. Je n'étais pas celle qui se trouvait en dessous et j'ai vraiment aimé ça. Lorsque je m'en suis rendu compte, j'ai eu peur de devenir comme Cécile et de me transformer en monstre. C'est pour ça que j'ai décidé de ne plus jamais demander à Samuel de m'obéir comme aujourd'hui ni de lui demander de me dire les mots. Si je le refais, j'ai peur de ne pas résister au plaisir que j'ai ressenti quand j'ai pris ses bras pour les mettre autour de moi et qu'il a hésité avant de finalement me donner exactement ce que je voulais. Je ne comprends pas pourquoi j'ai tant aimé le voir abandonner. Je crois que servir Cécile pendant si longtemps a laissé quelque chose en moi, mais je ne m'en étais jamais aperçu avant aujourd'hui.

Je ne veux pas devenir comme elle alors j'ai décidé d'enfermer cette partie de moi. Je veux rester celle que j'étais avant d'être vendue, pas celle d'après. Je vais écrire tout ce que j'ai vécu dans mes carnets et une fois qu'ils seront terminés, ils seront la cage de ce que j'ai ressenti.

Mercredi 14 novembre 2018

J'ai passé beaucoup de temps à rédiger mes mémoires cette semaine et cela fait s'écouler le temps rapidement quand Samuel n'est pas là. J'ai l'impression que tout ce que j'écris dedans s'en va un peu de moi. Chaque ligne que je dépose dans mes carnets me ramène dans le passé et efface aussi un peu de tout ce que j'ai vécu. J'aimerais que ce soit pour de vrai, mais c'est déjà mieux que rien. On ne peut pas revenir en arrière. Je ne peux pas redevenir une fillette de huit ans, mais je peux essayer de devenir celle que je veux maintenant parce que je peux choisir ma vie.

Ho ! J'ai sorti les poubelles dans la rue ce matin parce que Samuel avait oublié. Il était réellement surpris en rentrant et il m'a remerciée tout en me félicitant. J'étais vraiment fière de moi. Je suis ravie d'avoir sorti les poubelles dans la rue... En vrai, c'est complètement nul, mais je suis quand même contente ! T'entends le journal ?! Je suis fière d'avoir sorti les poubelles dans la rue. Voilà !

C'était une bonne journée aussi aujourd'hui. J'étais nerveuse dehors, mais je n'ai pas eu peur. Je suis tout de même rentrée vite après... Je me sens quand même plus en sécurité à l'intérieur.

Jeudi 15 novembre 2018

J'ai fait les courses avec Samuel. Je lui ai demandé si je pouvais l'accompagner et il a accepté. J'étais assise à côté de lui, à l'avant de la voiture. Je pouvais voir tout ce qu'il se passait autour de nous. La ville dans laquelle j'habite paraît assez grande. Au début, j'ai eu peur quand on s'est beaucoup éloigné de l'appartement. J'ai même cru un moment que j'allais faire une crise, mais je me suis sentie mieux lorsque j'ai croisé le regard de Samuel. Je me suis rappelé que je suis en sécurité avec lui.

Le magasin était gigantesque. Il n'y en avait pas des comme ça au Laos. Il y avait de tout et je ne savais plus quoi prendre quand Samuel m'a dit de mettre ce que je voulais dans le caddie pour cuisiner. J'avais pourtant des idées de plats dans ma tête avant de partir, mais c'était le vide complet une fois arrivé là-bas. Je me suis sentie stupide alors Samuel a pris le relai le temps que je me calme et retrouve ce dont j'avais besoin. Il y avait tellement de rayons que j'étais un peu perdue.

J'ai aussi pu choisir un livre à lire par moi-même. Plusieurs même. Je n'arrivais pas à me décider entre eux alors Samuel m'a acheté les deux. Je lui ai demandé comment je pouvais le remercier, mais il m'a répondu que ce n'était pas la peine.

J'aimerais pourtant vraiment le remercier, mais je ne sais pas quoi faire. En attendant de trouver, je vais continuer à être là pour lui et à m'occuper de tout pour qu'il puisse se reposer en revenant du travail. Il semble vraiment fatigué en ce moment. J'espère qu'il ira bientôt mieux. Il faut que je prenne plus de fruits la prochaine fois !

Vendredi 16 novembre 2018

Samuel est reparti tard ce soir. Il m'a dit qu'il devait retourner au travail pour finir quelque chose et qu'il reviendrait après. Je me souviens qu'il allait souvent dehors la nuit avec son sac de boxe avant, mais cela fait vraiment longtemps depuis la dernière fois. Je me demande si c'est parce qu'il n'est pas en forme ou parce qu'il ne le fait plus du tout.

Dimanche 18 novembre 2018

Samuel m'avait demandé de préparer des sandwichs hier. Il n'avait pas voulu me dire pourquoi, juste que c'était une surprise pour aujourd'hui. Au début, j'étais très nerveuse. Je crois que je n'aime pas les surprises et je préfère savoir ce qu'il va m'arriver, surtout que l'on a roulé vraiment longtemps.

Je dis ça, mais j'ai aussi beaucoup aimé découvrir qu'on allait passer la journée en forêt. J'avais parfois un peu peur lorsque j'entendais des bruits, mais cela m'a aussi beaucoup rappelé l'endroit d'où je viens. J'étais insouciante à cette époque et je me suis souvenue de tout cela aujourd'hui. J'étais vraiment contente de pouvoir marcher au milieu des arbres aussi longtemps. Sauf quand j'ai entendu un coup de feu. J'ai eu très peur, mais Samuel m'a expliqué que c'était juste des chasseurs et que je ne risquais rien parce qu'on nous voyait bien avec nos habits. Il avait raison : on n'a croisé personne et il ne s'est rien passé de mal.

C'était une de mes meilleures journées. En ce moment, je me sens tellement vivante que je souris tout le temps sans le faire exprès. Je pense que Samuel aime ça, car il sourit souvent aussi.

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now