Semaine 2

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Lettre de Samuel

Bonjour,

        Je l'ai retrouvé. Il a déménagé à 400 km d'ici. La machine est en marche. Soit je vais découvrir le nom du responsable, soit je vais devoir me faire à l'idée que je suis fou. Les êtres humains ne sont pas faits pour vivre dans la solitude. Le passé me hante et le négatif prend souvent le dessus. Les doutes grandissent et l'instinct de survie se développe en même temps. On devient une sorte d'animal, un être primitif qui ne peut plus se noyer dans la société comme avant. Même si je le voulais, je ne pourrais plus retrouver ma vie précédente. Plus exactement, je ne pourrais plus la vivre. Comme c'est ironique : c'est pourtant mon vœu le plus cher de récupérer ce que j'ai perdu, car je me sens dépossédé au point de consacrer mon existence à me venger.

        Je me souviens très clairement de cette soirée. Elle a commencé comme d'habitude : un gars n'avait probablement pas payé, donc je suis allé chez lui pour lui faire comprendre que ni le montant ni l'échéance n'étaient négociables. C'est fou comme quelques coups bien placés et la douleur qui s'ensuit changent très vite les efforts que déploie quelqu'un pour rembourser un prêt. Toutes les adresses auxquelles je m'étais rendu auparavant donnaient sur des taudis ou des habitations à l'entretien négligé. Sûrement le fruit du stress provoqué par l'absence continuelle de ces petits morceaux de papier à la si grande valeur marchande. Cette adresse ne se présentait pas ainsi : bien entretenue, riche décoration et deux grosses berlines dans l'allée. Une heure plus tôt, j'avais couché ma fille pour aller ensuite faire mon boulot. Dans ce genre de travail, on ne pose pas de questions. Le patron avait un message à faire délivrer et j'étais le coursier. La paye allait avec la confidentialité. Un chèque conséquent chaque mois, pas de questions. C'était devenu une habitude.

        Aujourd'hui, même si je n'en détiens aucune preuve, je suis convaincu que cette soirée a scellé le destin de ma famille. Je regrette mon ignorance passée et ces coups gratuits. C'est un majordome qui m'avait ouvert la porte. Je me suis fait poliment guider jusqu'au maître des lieux. Il portait un costume, comme moi. "Monsieur Bossoni a un message pour vous", j'ai annoncé calmement avant de le frapper jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Le majordome et l'épouse sont restés paralysés devant la brutalité de la scène. Quelques rares fois, les personnes présentes hurlaient, rarement prêtaient assistance. Cela se passait mieux depuis que j'avais compris qu'il valait mieux ne pas laisser entendre que les coups allaient venir. Rien n'égale le passage du calme à la violence inouïe pour figer l'entourage. Je n'ai jamais aimé devoir traiter avec ceux qui n'étaient pas destinataires directs. "Je n'ai pas besoin d'être raccompagné", j'ai lancé au majordome, puis je suis parti. J'ai nettoyé le sang sur mes mains et je suis retourné chez moi me coucher.

        Une semaine après, j'étais arrêté pour le meurtre de ma femme et ma fille. Je ne crois pas aux coïncidences. Ce travail n'était pas normal. Je suis certain que tout est parti de là. J'obtiendrai bientôt mes réponses.

Samuel Hickspratt

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now