Semaine 33 - 1/2

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Journal d'Alona

Lundi 5 novembre 2018

Hier, je me suis donnée à Samuel.

Mardi 6 novembre 2018

J'ai commencé à écrire mes mémoires dans les carnets que Samuel m'a achetés. Cela fait remonter beaucoup de choses. Je me souviens maintenant mieux de mes parents et aussi de combien j'étais perdue au début sans eux. Ce n'est pas facile. Il y a plein d'événements que je voudrais oublier, mais je crois que cela me fait aussi du bien. Chaque feuille noircie de souvenirs est comme une page tournée sur mon passé.

Mercredi 7 novembre 2018

Depuis ce weekend, j'ai l'impression que Samuel me regarde différemment et que je commence à exister pour lui. Cela me rend heureuse, mais également très nerveuse. Cet après-midi-là, je lui ai donné les clés pour me manipuler. Je ne me suis jamais montrée aussi vulnérable face à quelqu'un. Je pense qu'il a compris à quel point ce sont des mots précieux pour moi. J'espère vraiment que c'est le cas. Cette connexion que je ressens avec Samuel, elle est réelle, pas vrai ? Je crois que j'ai peur d'avoir tout imaginé encore une fois.

La première fois qu'il m'avait tendu la main, je n'avais pas réussi à la saisir. J'ai ensuite tellement regretté d'être restée paralysée à ce moment-là. Je craignais qu'il ne retente plus jamais de m'aider et qu'il me laisse un jour seule, piégée dans cette maison.

Dimanche, tellement de choses se sont passées en si peu de temps.

Lorsqu'il m'a demandé si je voulais réessayer de sortir, je me suis sentie soulagée, mais aussi très effrayée à l'idée de franchir cette porte de moi-même. Il y a deux ans, une seule nuit a suffi pour transformer mes rêves de liberté en cauchemar. Je n'aurais pas dû fuguer avec les autres ce soir-là. Est-ce que c'était vraiment juste de la malchance ou un ultime jeu de Cécile ? Je ne sais toujours pas et je ne le saurai probablement jamais. J'ai conscience d'être à l'abri et protégée avec Samuel, mais inconsciemment, cela me terrorise. Chaque fois qu'il me tend la main, je vois en lui un chevalier en armure me portant secours, mais chaque regard en direction de la porte me rappelle en même temps que j'ai rencontré l'un des monstres habitant le monde en dessous de ma tour. Je ne sais alors plus quoi faire. Comment choisir entre deux peurs si intenses ? Me retrouver enfermée sans nourriture et risquer de croiser une deuxième fois le monstre rôdant à l'extérieur m'emplissent tous les deux de la même terreur.

Je sais que vivre ici pour toujours avec Samuel prenant soin de moi est un doux rêve qui ne durera pas. J'ai envie de fermer les yeux et d'y croire, mais, au fond de moi, je le sais : cette situation est fragile. Samuel a déjà failli disparaître et ce qu'il cherche continuera à l'emporter loin de moi. Dimanche, j'ai pris sa main parce que je ne voulais pas être abandonnée. J'ai choisi de lui faire confiance et de penser qu'à ses côtés, le monstre à l'extérieur ne me tuera pas. Je veux croire que Samuel est assez puissant pour me protéger le temps que je puisse être suffisamment forte pour survivre par moi-même et ne plus être une proie aussi facile que nous l'étions toutes les trois cette nuit-là.

Dimanche, j'ai pris sa main, mais je me suis surtout offerte également à lui sur un plateau. Je ne me suis jamais offerte à personne auparavant. Même Cécile qui a pourtant insufflé son pouvoir à cette phrase ne m'a jamais réellement vue me plier complètement à elle. Je lui ai obéi, elle m'a manipulée, mais elle ne m'a jamais totalement possédée. Elle n'a jamais vu mon cœur. Tout ce qu'elle détenait de moi a toujours été volé, marchandé ou arraché par la force. Dimanche, j'ai donné les clés de celle que je suis à Samuel. En lui demandant de me dire que "Tout ira bien" et en le laissant voir que cette phrase a le pouvoir de me mettre en confiance totale, je lui ai abandonné ma capacité à me protéger. À ce moment-là, je savais très bien que je n'étais pas obligée d'aller si loin et que c'était dangereux, car il pourrait ensuite s'en servir très facilement contre moi.

Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ? Pourquoi lui ai-je donné ces mots ? J'ai peur des conséquences de mon geste, mais je ne le regrette pourtant pas. Peut-être que je ne pouvais plus me protéger moi-même. Je crois que si Samuel n'est pas capable de prendre soin de ce que je lui ai confié, je ne souhaite plus continuer à avancer. Je me bats depuis longtemps pour survivre sans jamais apercevoir le bout du tunnel. J'imagine que les ampoules sont des soleils et les verres d'eau, des océans. Cela fait des années que je choisis sciemment de voir des choses qui n'existent pas réellement chez les autres. J'ai voulu croire qu'il y avait deux Cécile : celle effrayante qui aimait nous faire mal et celle qui disait que tout ira bien. En réalité, il n'y en avait qu'une et elle ne faisait sûrement que jouer avec nous.

Des mots doux sortaient de la bouche de Nick quand je m'occupais de lui ou qu'il était de bonne humeur. J'ai choisi de croire ses mots même si lui ne se les rappelait plus quelques heures après. C'était peut-être le seul moyen à ma portée pour survivre sans devenir folle : imaginer que les gens qui se servaient de moi tenaient à moi.

Samuel ne m'a jamais fait croire cela et il n'a jamais cherché à se servir de moi. Il n'est pas un maître : juste une personne. Si Alona est un mot qui n'a pas de sens près de lui, comment pourrais-je continuer à me battre ?

Dans l'une de ses lettres, il racontait combien il était fatigué de lutter contre le monde autour de lui. Je crois qu'en réalité, je suis pareille, mais je faisais semblant de ne pas le voir. Je n'en peux plus de vivre dans mon imagination. Je n'en peux plus de me battre chaque jour pour garder en vie celle qui s'appelait Alona et qui a été enlevée à huit ans. Si le cœur de cette petite fille ne peut toujours pas exister dans cette maison, je crois que je ne veux plus continuer. Je pense que c'est pour ça que je me suis donnée à Samuel. J'ai peur qu'il me détruise, mais je ne peux plus vivre dans la minuscule prison qui protège mon cœur. Samuel possède maintenant la clé de cette cage et, s'il le souhaite, il peut tenir mon cœur dans sa main. Je crois que c'est à cause de cela que je me sens si vulnérable. Samuel, tu comprends le pouvoir de cette clé, pas vrai ? Je suis devenue plus qu'un fantôme à tes yeux ? Est-ce que tu me vois enfin pour de vrai ? Si je te demandais encore de lire mon journal, est-ce que tu accepterais cette fois ?

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now