Semaine 25

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Lettre de Samuel

Bonjour... à moi ?

        Tant pis si cette lettre se perd, je pense que cela me fait du bien d'écrire. J'y trouve aussi un avantage : peu importe le contenu, je ne risque pas d'impliquer qui que ce soit ni de craindre l'exposition de mes actions. Le fait que ces enveloppes ne te parviennent pas s'est maintenant imposé à moi comme une évidence : n'importe qui d'autre m'aurait rapporté à la police suite à la mort d'Anton. Mes correspondances de cette période-là sont clairement des aveux. J'ai donc décidé d'arrêter de filtrer une partie de ce que j'écris.

        J'espère toutefois que rien ne t'est arrivé. C'est une possibilité qui ne veut pas quitter mon esprit. J'étais déterminé à passer chez toi en début de semaine pour en avoir le cœur net, mais j'ai fini par faire demi-tour après plusieurs heures de route. Plus j'approchais et plus je devenais nerveux. J'ai fini par réaliser que je ne veux pas connaître la vérité. Si ce n'était pas toi que je trouvais à l'autre bout, si ces lettres finissaient à la poubelle, je n'aurais plus aucune raison de les écrire. J'ai besoin d'avoir quelqu'un à qui confier tout ça.

        J'ai aussi pensé au risque que je prends en écrivant. C'est incohérent avec le reste de mes actions, mais je ne peux pas m'en empêcher. Est-ce que c'est une façon d'exprimer ma culpabilité ? Est-ce que je cherche en réalité à finir en prison ? Non, je ne crois pas, mais je me sens coupable de ce qui leur est arrivé. Je doute que quoi que ce soit puisse changer les choses. Maintenant que j'y songe, je me souviens du sentiment qui m'a envahi lorsque j'ai été relâché : ce n'était pas du soulagement mais une grande oppression. Je me suis senti étouffé par ma liberté. J'étais aussi déboussolé et immensément en colère. J'étais tellement en colère. ̶Q̶u̶a̶n̶d̶ ̶j̶e̶ ̶s̶u̶i̶s̶ ̶r̶e̶n̶t̶r̶é̶ ̶à̶ ̶l̶a̶ ̶m̶a̶i̶s̶o̶n̶,̶ ̶j̶'̶a̶i̶ ̶p̶r̶i̶s̶ ̶l̶e̶

        J'espère que je n'y suis pas allé trop fort avec Alona. Elle est revenue m'observer alors que j'écrivais. Elle s'est installée contre un mur pour lire tout en jetant des regards discrets vers moi. Elle a déjà fait ça une fois, mais je n'étais pas d'humeur ce soir. Vraiment, elle a choisi le pire moment. Je lui ai dit de me laisser, mais elle a décidé de venir me voir et me demander si elle pouvait faire quelque chose pour moi. Je lui ai répondu qu'elle pouvait sortir la poubelle et c'est parti en vrille. C'était stupide de ma part. Je me suis juste défoulé sur elle.

        La suite va être incompréhensible si je ne détaille pas les jours précédents. En début de semaine, j'ai proposé à Alona de m'accompagner aux courses pour qu'elle choisisse elle-même un livre et elle a poliment refusé. Elle était clairement mal à l'aise alors je n'ai pas insisté. Peut-être qu'elle ne voulait pas se retrouver en public avec moi. Je ne sais pas ce qu'elle a pu vivre avec Nick ou avant. Pourtant, une chose me dérangeait comme s'il y avait bien plus. Je n'arrivais pas à faire taire cette petite voix qui me disait qu'elle n'avait jamais mis un pied dehors. Le lendemain, j'ai donc proposé de lui montrer où se trouvaient les bennes pour que les poubelles ne traînent plus dans l'entrée. Elle a refusé encore une fois poliment. J'ai un peu insisté et elle a répondu qu'elle ferait autre chose en échange, mais qu'elle préférait que je m'en occupe en partant au travail car c'était plus pratique. J'ai laissé couler, son argument faisant sens, mais j'avais acquis la certitude que l'idée de mettre un pied dehors la remplissait de peur. C'est peut-être même l'une des raisons pour lesquelles elle ne s'est jamais enfuie après son réveil.

        Tout à l'heure, je n'étais pas bien. Normalement, je ne m'en serais jamais pris à elle. Me rendre compte que je suis incohérent dans mes actions et me souvenir du passé m'a mis dans un état abominable et j'ai juste évacué tout ça sur elle. Quand je lui ai dit de sortir les poubelles, elle m'a demandé si elle pouvait faire autre chose et je lui ai répondu négativement. Je lui ai dit qu'elle ne servait à rien si elle était incapable de faire une tâche aussi simple. Elle s'est excusée et cela n'a fait qu'accroître ma colère. Je me suis levé et elle a commencé à devenir nerveuse. Je me suis mis en face d'elle et je lui ai ordonné de sortir le sac. Elle était en stress et ne répondait plus rien. Elle était complètement paralysée. J'aurais dû en rester là, mais je l'ai prise par le bras et je l'ai traînée jusqu'à l'entrée tout en la pressant de saisir le sac. Elle a fini par s'exécuter en tremblant. Quand j'ai ouvert la porte, elle a tout lâché et a commencé à me supplier. J'ai alors attrapé le sac, je l'ai jeté dehors et j'en ai fait de même avec elle avant de refermer la porte et de la verrouiller. Si Julie m'avait vu, elle aurait été horrifiée par ma façon d'agir. Je me suis servi de sa peur contre elle comme si j'étais en train de torturer et d'interroger un vulgaire dealer.

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now