Semaine 8 (Arc 2 : Calvin Lange)

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Lettre de Samuel

Bonsoir Jean,

        J'ai un peu honte de moi. Cela fait un paquet de lettres que je t'envoie maintenant, peut-être cinq ou six, et aucune ne prend de tes nouvelles. En vérité, tu ne les reçois peut-être même pas, mais je préfère penser le contraire. J'ai conscience que tu ne peux toujours pas me répondre, mais est-ce que tu vas bien ? Juste avant que tu partes, il me semble que tu entamais une nouvelle relation. Je ne me souviens plus de son nom, seulement que tu paraissais heureux. Es-tu encore avec elle ? As-tu réussi à devenir agent immobilier comme tu le désirais ? En tout cas, j'espère que tout va bien pour toi. Je te souhaite de trouver le bonheur.

        Autour de moi, cela manque, mais j'ai tout de même eu quelques bonnes nouvelles. L'assurance va indemniser les travaux de reconstruction et j'ai également droit à un relogement temporaire. Cela va me faire du bien. Concernant la maison, je suis mitigé. Elle ne sera plus jamais la même. De toute façon, cela va prendre des mois avant que les rénovations soient terminées.

        Il n'y a pas qu'elle d'ailleurs. J'ai voulu rendre visite à Julie et Aurore ce matin. Il pleuvait un peu, rien de méchant, mais j'avais tout de même relevé ma capuche. Je connais les allées du cimetière par cœur et je savais donc que c'était devant leur tombe qu'elle était. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas croisé la mère de Julie. Son décès a laissé un grand froid entre nous. Mon arrestation a agi comme un catalyseur en elle et elle reste persuadée que je les ai tuées. Elle n'a jamais approuvé le choix relationnel de sa fille et sa mort l'a confortée dans cette idée. J'ai préféré ne pas la déranger et j'ai attendu à l'entrée qu'elle s'en aille. Nos regards se sont brièvement croisés entre les gouttes tombant de son parapluie. Ses yeux, qui exprimaient au départ de la tristesse, ne montraient ensuite qu'une colère surprise. Elle n'a pas prononcé un mot et moi non plus. Elle est sortie du cimetière et je me suis dirigé vers les tombes. Je pense qu'elle ne me pardonnera jamais. Je la comprends. La seule différence entre nous, c'est que je cherche le coupable ailleurs.

        Cela va te paraître sûrement étrange, mais je t'imagine dans une maison douillette et chaleureuse. La pièce de vie possède également une cheminée et cela m'apporte un certain soulagement de penser que tu liras ma lettre avant de la jeter au feu. Je me plais à croire que tu restes regarder les flammes la consumer jusqu'à ce que ces nombreuses petites lucioles rouges viennent enfin courir sur la surface noire du papier carbonisé avant de disparaître elles aussi. Peut-être que j'ai besoin de me sentir soutenu et protégé. C'est probablement pour cela que l'idée que tu regardes brûler mes mots tout en te les remémorant me réconforte.

        Je n'ai jamais été un grand sentimental, contrairement à Julie, mais ma lettre pourrait en donner une impression différente. Tu crois qu'il est possible que lorsque l'on est incapable de laisser partir une personne, une partie d'elle finit par habiter en nous ? Ce n'est pas une idée déplaisante. Pour le moment, ce n'est toutefois que de Samuel Hickspratt dont j'ai besoin. Il me faut retrouver celui que j'étais autrefois, car je vois Calvin demain. Je l'ai eu au téléphone et il est d'accord pour me rencontrer. Il accepte de m'échanger l'information que je veux contre un travail à faire pour lui.

Ton ami, Samuel

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now