Semaine 22

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Lettre de Samuel

Bonsoir,

        Je n'ai pas tellement à raconter cette semaine. Elle a pourtant été dure. Jeudi, c'était mon anniversaire et c'est toujours un moment difficile pour moi. Je vais mieux maintenant, en partie grâce à Alona. Elle m'a beaucoup surpris. Elle s'occupe plutôt bien de la maison. On a même commencé à manger ensemble depuis samedi. Je n'ai pas trop envie de détailler les événements qui ont mené à cela, mais on a beaucoup échangé durant la nuit précédente (enfin beaucoup, disons en comparaison avec d'habitude). Après coup, je n'en connais pas vraiment davantage sur elle, ni elle sur moi, mais notre relation a pourtant énormément évolué en seulement quelques heures.

        Je ne sais pas si tu vas trouver cela aussi drôle que moi, mais il existait un gros malentendu entre nous. Après avoir épié mes discussions téléphoniques en rapport avec la vente de ma voiture, elle a cru que j'étais en train d'organiser sa vente à elle. C'est un peu triste, mais cela m'amuse beaucoup tellement c'était improbable. Je n'aurais jamais pensé qu'elle pouvait l'interpréter ainsi. C'est la raison pour laquelle elle était venue vers moi ce fameux soir, la semaine dernière : elle avait peur. Elle m'a fait promettre de ne jamais la revendre à personne. Je le lui ai garanti et à nouveau assuré qu'elle se trouvait ici chez elle.

        On dirait que Calvin a réuni sous un même toit deux êtres brisés par leur passé. Je ne sais pas trop ce qu'il en ressortira, mais je trouve l'appartement agréable et je commence à aimer y revenir après le travail. Cela fait très longtemps que je n'ai pas désiré rentrer quelque part à la fin de la journée. Ce n'est pas comme une maison, mais c'est tout de même plaisant. Je pense toutefois qu'il est préférable de ne pas trop nous attacher l'un à l'autre étant donné nos situations respectives.

        Godric doit normalement me faire une synthèse de ce qu'il a découvert dans les jours à venir. J'espère que j'en apprendrai bientôt plus. J'en ai marre de vivre dans le doute. Je ne sais pas si je survivrai à mon prochain anniversaire. Chaque année, traverser cette période devient plus compliqué que la précédente. Il faut que je trouve ma vérité cette année. Je commence à sentir que le temps me manque.

Ton ami, S.H.

Journal d'Alona

Le tremblement d'un pétale quand une goutte de pluie le heurte : c'est une vibration que je cherche dans l'écriture, l'imperceptible inquiétude de l'âme en paix.

Lundi 20 août 2018

Nick, tu m'avais promis qu'il ne m'arriverait plus rien. Je déteste les menteurs. Tu m'as aussi menti en disant que tu serais à mes côtés pour me voir voler de mes propres ailes. Est-ce que tu m'as cherchée avant de mourir ? Celui chez qui je suis ne semble pas me vouloir de mal, mais je ne sais pas si je peux lui faire confiance. Il dit qu'il n'attend rien de moi, mais si c'est un intermédiaire, je ne vais pas rester là longtemps. Je ne veux plus être vendue. S'il s'attache à moi, je pourrais peut-être rester ici. C'est un homme. Ce sont tous des profiteurs et des violeurs alors pourquoi il n'a pas voulu de moi ? Pour lui, tout ce que je vaux, c'est 500 euros. Les autres en avaient fini avec moi alors ils me vendent encore une fois ? Je t'ai cru quand tu m'as dit que c'était fini. J'ai peur, Nick. Je ne veux plus découvrir de nouveaux maîtres. Je ne sais pas ce qui m'attend et ça me terrifie.

Jeudi 23 août 2018

Celui qui me garde, Samuel, il n'est pas revenu aujourd'hui. J'ai pourtant tout bien fait tous les jours. Est-ce qu'il va revenir seul ? Si c'est un menteur, il ne sera pas seul.

Vendredi 24 août 2018

J'ai fouillé dans la poubelle aujourd'hui pendant le ménage. J'ai trouvé une lettre froissée. Je l'ai récupérée avant de changer le sac. Je crois que c'est lui qui l'a écrite. Peut-être que ce n'est pas un menteur en fin de compte. Ou est-ce qu'il a laissé ça exprès ? Cécile était fourbe et faisait ça tout le temps pour s'amuser avec moi. Est-ce qu'il a juste jeté cette lettre ou est-ce qu'il est comme Cécile ? Le contenu ne parlait pas de moi.

Samedi 25 août 2018

Samuel ne me veut pas de mal. En fait, c'est lui qui m'a sauvée. Il s'est passé un truc étrange cette nuit. Samuel était assis à côté de la porte. Il pleurait en silence. Je n'étais pas sûre de moi, mais je me suis dit qu'il serait peut-être plus attaché à moi si j'étais utile à son cœur plutôt qu'à son corps. J'ai pris sa tête dans mes bras et il ne m'a pas repoussée. Il n'a pas bougé et il a juste continué à pleurer comme ça. Après, on a discuté. Samuel pense que si j'ai été enlevée, c'est à cause de ce qu'a pu dire la fille qui était avec moi. J'étais un moyen de faire pression sur toi. Il m'a aussi promis qu'il ne me vendrait jamais. Tu avais respecté cette promesse. J'espère que lui aussi. Je crois que Samuel a perdu sa famille et qu'il vit dans les ténèbres à cause de ça. La lettre que j'ai trouvée était effrayante, mais je crois qu'il ne me fera pas de mal à moi. Tu crois que je peux lui faire confiance ? Il a l'air de te connaître. Il a un regard triste quand il parle de toi. Je crois qu'on a les mêmes yeux.

Dimanche 26 août 2018

Je me demande qui est le Jean dont parlait la lettre de la poubelle. La semaine dernière, il écrivait aussi. Est-ce que c'était à lui ? Si ce qu'il écrit est vrai, c'est un tueur. Pourtant, on dirait qu'il ne me veut pas de mal. Il n'a jamais crié et il ne m'a jamais frappée non plus. Ceux qui sont des menteurs le font souvent.

Première lettre perdue

Jean,

        Est-ce que tu crois que je me voile la face ? Ça fait six ans aujourd'hui. Je suis en train d'écrire dans le salon de notre maison. Les travaux ne sont toujours pas finis : la peinture n'est pas faite et le sol est recouvert de poussière de plâtre. Il n'y a plus aucun meuble. Ce qui était encore en état a été stocké dans le peu de pièces épargnées. Je n'ai pas eu le courage d'aller leur rendre visite au cimetière aujourd'hui comme je l'avais prévu à l'origine. Je sais que je me fais du mal à rester assis dans le salon et à me souvenir des moments vécus ici. Tu répétais qu'il s'agissait d'un accident que ce soit arrivé précisément ce jour-là. On a toujours eu un différend quant à l'interprétation des coïncidences.

        Dis, je ne suis pas cinglé, hein ? Il existe bien une raison pour laquelle Anton a mis si longtemps à cracher un nom ? Il ne peut pas avoir vendu Maudiet juste pour avoir une chance de survivre, si ? Et si Maudiet ne savait rien ? Je ne veux pas être fou. Je ne veux vraiment pas être fou. Est-ce qu'on peut tuer des gens et ne jamais s'en souvenir ? Cette question m'obsède sans cesse. Tout le monde me pense coupable sauf moi. J'ai peur. J'ai tellement peur. Je les aimais tant. C'est impossible, pas vrai ? On se prenait parfois la tête avec Julie, mais ça ne justifie pas tout ça, si ? La maison était verrouillée et il n'y avait aucun signe d'effraction. Est-ce que le père Noël les a tuées parce que je n'étais pas assez sage ? Il a décidé d'arrêter avec le charbon, car les gens ne retenaient pas assez la leçon ? Chaque année, chaque 23 août, j'ai l'impression de tomber dans le vide et d'être avalé par les ténèbres. C'est comme si le soleil n'allait plus jamais se lever et que toutes les aurores à venir étaient mortes avec la mienne. Ce matin-là, Julie ne m'a jamais souhaité mon anniversaire. Aurore non plus. Je suis bien tout seul dans ma tête ? Ça n'est pas moi, hein ? C'est impossible. Elles étaient ma lumière. Elles étaient tout. S'il te plaît, dis-moi qu'un monstre ne se cache pas en moi. C'est mon corps, c'est ma tête, je serais forcément au courant, non ? Ça n'existe pas ce genre de folie, pas vrai ? Je ne peux pas être responsable. Je ne veux pas être responsable. Et si c'était le cas ? Est-ce que je pourrais oublier encore une fois ? Est-ce que je pourrais oublier qu'elles ont existé ? Si je les laisse partir, j'irai mieux ? J'en peux plus. Six ans, c'est assez long, non ? J'ai l'impression de me battre contre mon ombre. Je cherche la vérité en tirant sur un fil si fin qu'il pourrait se désintégrer dans ma main n'importe quand. Je ne sais même plus pourquoi je lutte. Franchement, à quoi ça rime ? Je veux prouver mon innocence de meurtrier, mais j'ai déjà tué Anton pour ça. Je n'éprouve même pas de remords. Est-ce que ce n'est pas la preuve que les autres doivent avoir raison ? Et si la seule erreur de Julie avait été de s'approcher de moi ? Danse avec les requins et une simple goutte de sang peut te tuer. Je suis si fatigué de me battre. Qui sait combien de dégâts je vais encore provoquer autour de moi en cherchant des réponses et un assassin qui n'existent peut-être que dans ma tête ? Je ne veux pas tout ça. Je n'ai jamais voulu tout ça.

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now