Semaine 32 - 1/3

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Lettre perdue 4

À... J'en sais rien. La compagnie aérienne.

        Le trajet en avion s'éternise alors j'en profite pour écrire sur la journée qui s'annonce. Je me demande depuis quand j'emporte toujours un carnet de feuilles avec moi. C'est devenu un objet qui m'accompagne partout et qui paraît maintenant presque indissociable du stylo que j'ai gardé de Julie. "Écrire pour exister", je crois avoir déjà entendu une phrase comme ça quelque part. Elle me parle dorénavant davantage que par le passé.

        J'ai laissé Alona derrière moi, probablement dans un état seul et triste. Je m'en veux un peu de ne fournir aucun effort pour me rapprocher d'elle. Si je souhaitais me montrer honnête envers moi-même, je dirais que c'est surtout à cause d'une peur : celle de perdre ma capacité à haïr. Quand la maison a brûlé et que tout ce que nous avions accumulé a disparu, j'ai failli m'écrouler pour de bon. La vengeance m'a sauvé. Temporairement. Il y a tout juste quelques mois, je ne saisissais pas, mais aujourd'hui, je le vois. Ma rancœur m'a probablement permis de vaincre ma lâcheté et elle est rapidement devenue ma seule lumière. Peut-être qu'inconsciemment, j'ai compris que ce n'est qu'armé d'un feu noir que je pouvais tracer mon chemin au milieu des ombres.

        Et maintenant, j'ai peur de lâcher cette flamme, car je ne sais pas si je pourrais poursuivre ma route ou si je trébucherais rapidement pour disparaître dans le miasme qui me guette depuis six ans. J'ai pitié d'Alona, vraiment, mais je ne peux pas courir ce risque. Pas aussi près. Pas après avoir avancé si loin. Quand j'ai commencé, je ne savais pas si la folie de leur mort était la mienne ou celle d'un autre. À présent, mon esprit est plus clair et c'est vers un nom que je tends enfin la main. Celui que je cherche est peut-être aussi insaisissable qu'une anguille, mais je sais que je vais trouver quelque chose aujourd'hui. C'est un sentiment étrange similaire à la prescience que j'avais éprouvée pour Anton. Je n'ai pourtant jamais douté de Nick le fumier. Une fois que l'on s'est débarrassé de tout, il ne reste que l'essentiel. Dans mon cas, il s'agit de Julie, Aurore, mes poings et mon intuition. Je ne peux compter que sur ces quatre alliés pour trouver ce que je cherche. En ce moment, le quatrième me somme d'aller en Suisse.

        Si cette hôtesse de l'air passe une troisième fois avec son chariot, je jure devant Dieu de lui faire manger moi-même ses "assortiments de délicieux en-cas".

        J'arrive dans une quinzaine de minutes normalement, puis je prendrai un taxi. Je me demande à quoi peut bien ressembler un village-asile pour riches. Je verrai bientôt tout cela de mes propres yeux.

        Cela fait un moment que je ne m'étais pas aussi bien habillé. Cela me rappelle mon travail à l'époque. Aujourd'hui, je l'ai fait davantage en souvenir de Julie que pour Montferrat et je me sens un peu nostalgique. J'espère que je trouverai ce que je cherche. Je ne pensais pas devoir chasser mes démons jusque là. Je n'ai jamais beaucoup aimé voyager, même au sein de mon propre pays alors, la Suisse, cela me renvoie des airs de bout du monde bien qu'elle touche la France.

        J'entends un chariot revenir. Je vais arrêter d'écrire ici. Si je suis interrompu une fois de plus, je vais m'emporter. Ce n'est clairement pas un lieu pour faire un scandale. Être retenu par la sécurité à l'arrivée me paraît peu judicieux.


        Ça s'annonce bien... Mon "rendez-vous" n'est pas encore "prête à me recevoir". De ce que j'ai entendu par la suite, il ne retrouve également pas un patient. Je ne sais pas s'il s'agit d'elle ou d'un autre. La salle d'attente est... ennuyante. C'est une salle d'attente. Je n'en peux plus d'attendre. Le trajet était long et j'ai juste envie d'en finir pour rentrer. Je n'ai toujours aucune idée de la raison pour laquelle je me trouve ici. J'espère au moins qu'elle ne va pas me faire faux bond et disparaître aujourd'hui. Mes pistes ont une fâcheuse tendance à mourir...

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now