Semaine 17

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Lettre de Samuel

Bonjour Jean,

        Je me sens perdu. J'ai le sentiment de me trouver dans un bateau à la dérive sur l'océan. Il y a peu, je voyais le phare indiquant que la côte approchait, mais il a depuis disparu dans la nuit. Je navigue maintenant dans des eaux inconnues que je ne suis pas sûr de vouloir explorer, car je ne sais pas ce que je vais y découvrir. Je crois que le plus simple est de te raconter tout cela de manière chronologique.

        Le déménagement a été planifié sur deux jours : hier et aujourd'hui. L'itinéraire à emprunter pour conduire Godric à sa nouvelle destination m'a été révélé la veille. Cela m'a laissé juste le temps de discuter avec Calvin. Heureusement, une rue se prêtait bien à une embuscade donc tout a été organisé plutôt rapidement.

        Hier, j'ai vu le QG se vider progressivement au fur et à mesure que les camions ont défilé. C'est donc au sein d'un entrepôt quasi abandonné que j'ai pris la direction du fourgon avec Godric et une partie de ses affaires ce matin. Quelques hommes de main nous ont accompagnés pour aider avec le transport, mais c'était prévu. Une fois installé, j'ai démarré et nous avons roulé selon la route préétablie. Le trajet était stressant avec Godric et deux hommes avec moi. Ils tiennent assurément beaucoup à cet homme. Après une trentaine de minutes, nous sommes arrivés au point de séparation entre l'itinéraire des marchandises et celui de Godric. Les trois véhicules ont suivi le même : le mien. Je n'étais pas préparé à cela. Les conversations radio entre les véhicules m'ont vite appris qu'un point de contrôle mis en place par la police avait rendu l'un des chemins impraticables.

        Il ne s'est rien passé de notable par la suite à part un stress qui me tendait de plus en plus. C'était la même pour les autres bien que les raisons en étaient différentes.

        Lorsque nous sommes arrivés à la traversée de la ruelle convenue avec Calvin, l'embuscade était bien là. Deux véhicules sont venus nous couper simultanément la route et la retraite et un groupe d'une dizaine d'hommes armés a commencé à nous tirer dessus. Godric s'est mis à l'abri en boule tandis que nous sommes sortis en contre-attaquant. Les balles fusaient de partout, ricochant sans que l'on puisse les suivre. J'espère que tu n'auras jamais à te défendre tout en essayant de ne pas attirer l'attention sur toi. C'est tout simplement impossible. Une partie de ma survie est uniquement due au fait que le tireur le plus dangereux pour moi était Calvin. Les corps ont rapidement commencé à tomber de chaque côté. Nous devions être trois fois moins nombreux et ils n'auraient pas dû avoir besoin de tirer. En lieu et place d'un enlèvement éclair, c'était juste une boucherie. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que j'avais peur. J'avais peur, mais pas pour ma vie. L'unique chose qui a envahi ma tête, c'est la crainte de ne jamais quitter cette rue et de les abandonner. Julie et Aurore sont tout pour moi, tout ce qu'il me reste. Alors que j'étais à la fois obsédé par cette pensée et ma survie pour l'accomplir, j'ai vu Calvin partir en arrière et disparaître derrière la poubelle qui lui servait de protection. En un instant, le seul lien que j'avais encore est mort. Il a suffi de quelques policiers mal placés et d'un simple morceau de métal projeté à haute vitesse pour m'enlever le fruit d'un travail de plusieurs semaines.

        Le groupe de Calvin a été décimé. Godric est arrivé à bon port. Les survivants ont été félicités. Moi j'avais juste la haine et j'étais dans une colère noire. Une fois libre, j'ai pris la direction de mon appartement complètement dépité. Je me suis écroulé sur mon lit. Il faisait nuit et les lampadaires projetaient une lueur macabre au plafond. Je ne me sentais ni vivant ni mort. J'ai pris conscience d'à quel point je suis resté bloqué cinq ans en arrière. En réalité, ma vie s'est arrêtée en même temps que la leur. C'est juste que je ne l'avais jamais réalisé. Au fond, je ne suis qu'un fantôme. Je n'ai rien à faire dans ce monde. J'avais échoué et pour la première fois en cinq ans, j'ai vraiment envisagé de les rejoindre alors que je n'en avais jamais eu le courage auparavant.

        C'est à ce moment-là que mon téléphone a sonné. Ces sons aigus et répétitifs si désagréables au milieu du silence de la nuit. Presque personne ne possède ce numéro et il n'y avait que Calvin qui était en mesure de m'appeler à une heure pareille. J'ai dû relire le message trois fois avant de comprendre. Il a dû préparer un envoi différé dans l'éventualité où les choses se passeraient mal. Le texte s'est révélé très succinct : une adresse, un numéro et un code.

        Je me suis levé et me suis rendu sur place à la fois avec méfiance et espoir. J'y ai trouvé une rangée de coffres en accès libre au milieu des beaux quartiers. Sous les instructions de Calvin, le 74 n'a opposé aucune résistance et m'a délivré une enveloppe contenant une clé et une lettre.

        Lorsque tu recevras mon courrier, je serai sûrement déjà revenu de là-bas. L'aller-retour va me prendre la journée. Avec les événements d'aujourd'hui, les quatre survivants dont je fais partie ne bossent pas sauf si une urgence oblige à faire appel à nous. Ce ne devrait pas être le cas, car ils vont devoir faire profil bas quelque temps. Je te fais suivre la lettre de Calvin avec la mienne. Je n'en ai plus besoin. J'ai uniquement conservé la clé. Je ne sais pas ce que je vais trouver à cet endroit, mais il a rempli sa part du marché donc je lui dois bien ça. Mon boss n'était pas la seule personne encore honnête qui restait de mon passé et il n'est pas le seul à avoir disparu du présent non plus.

Ton ami, Samuel.

PS : je t'en partage probablement trop en te laissant lire la lettre de Calvin. J'ai confiance en toi et j'espère que mon amitié n'est pas un fardeau trop lourd à porter.


Lettre de Calvin

Pour Samuel Hickspratt uniquement

Si t'es pas lui, va mourir pour avoir ouvert un courrier qui te concerne pas.

J'espère ne pas avoir besoin de cette lettre. Si tu la lis, c'est mauvais signe. Appelle ça une intuition, mais il y a un truc que je sens pas dans le plan de demain. Désolé de t'avoir obligé à me suivre dans la récupération de Godric. Tu es venu vers moi en demandant de l'aide et je t'ai obligé à reprendre du service parce que tu étais ma meilleure chance de le choper. Je suppose que c'était pas une partie de plaisir. Que ça réussisse ou pas, j'avais prévu de te donner l'info que tu voulais de toute façon.

Raymond Blancpet n'est pas un vrai nom. C'est un pseudo qui vient d'une blague à cause d'une discussion sur un film. Le gars aime tellement en parler qu'on l'appelle plus par son vrai nom depuis longtemps. Je crois pas que beaucoup se souviennent de sa vraie identité. Il s'appelle Jules Maudiet. Il trempe dans un tas d'affaires louches, mais tu le pisteras plus facilement en te renseignant sur un homme politique du nom de Dominique Montferrat. Il est son homme de main et aussi son second pour tout ce qui doit pas s'ébruiter en public.

J'en sais pas beaucoup plus. Je t'ai demandé vachement de temps pour peu d'infos au final. J'ai fait des recherches, mais j'en ai appris peu à part que Montferrat est le seul dont il prend ses ordres. Il y a aussi des rumeurs sur lui, mais je sais pas si elles sont vraies. Il aurait une liaison avec la fille de Montferrat. Franchement, j'ai vraiment aucune idée de si tu peux t'y fier.

Je suis pas très utile, hein ? Vraiment, je suis désolé de t'avoir utilisé avec si peu en retour. T'es un type bien. Y'en a pas beaucoup dans ce taf.

Je sais que j'ai pas le droit de te demander plus. J'ai personne d'autre à qui demander ça en sachant que ça restera secret. Le post-it contient deux adresses. La clé ouvre la plus près. Elle est sûre. Si tu lis ça, j'ai plus rien à perdre de toute façon. Je voudrais que tu ailles à la plus loin et que tu récupères deux filles. Je sais pas dans quel état elles sont. Évite d'y aller la nuit. En journée, ça devrait pas être surveillé du tout, mais soit prudent. Je te laisse décider de ce que tu en feras après. Ce sont que des dégâts collatéraux, elles méritaient pas ça. Mon karma ira peut-être mieux, mais j'y crois pas trop.

J'ai été content de te revoir. Je l'ai pas dit mais ça m'a fait vraiment plaisir de te reparler. J'aurais aimé boire une bière avec toi, mais on en aura pas l'occasion. Ouvres-en une pour moi. J'espère que tu trouveras ce que tu cherches.

Calvin Lange

L'Appel du ColibriWhere stories live. Discover now