hiver couvert

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septembre deux-milles quatorze

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septembre deux-milles quatorze

- ça t'irais bien ça, je sors un pull en laine du portant.

- tu t'fous d'ma gueule ?

- lâche tes chemises de bûcheron un peu, ça t'ferais pas d'mal.

ken roule des yeux devant moi.

- j'suis pas là pour m'acheter quoi que ce soit, il conclut en s'asseyant sur un des fauteuils du magasin. mais toi vas-y, essaie.

- le pull ?

il acquiesce.

- ah nan, c'est pas du tout mon style.

- t'es une forceuse.

à mon tour de rouler des yeux. il m'est tout sauf utile depuis tout à l'heure. je sais pas trop à quoi je m'attendais non plus, il aime bien les vêtements, mais on traîne pas dans les mêmes boutiques. angelina a tout un tas de bons de réduction chez printemps puisqu'elle bosse là-bas, alors ça m'arrange pour pouvoir me payer un manteau à trois chiffres qui, on l'espère, me tiendra au moins dix hivers.

je sais que j'ai dépassé le stade de ma vie où je dois à tout prix compter mes dépenses au centime près, mais j'entends toujours la voix de mon père me chuchoter à l'oreille qu'on ne peut pas tout se permettre, que c'est compliqué avec son salaire de mener la même vie que mes amies.

par mes amies, il entendait charlie.

je m'en rappelle encore des mercredis après-midi où après les cours, on prenait le métro jusqu'à la rue de rivoli pour acheter de nouveaux vêtements dont on avait même pas besoin. elle était toujours tiraillée entre la fierté et la honte de piquer de l'argent dans le porte-monnaie de sa mère, mais elle finissait toujours par se mentir à elle-même en disant qu'après tout, sa mère le méritait.

dans mes souvenirs, je me rappelle surtout de la fois où ma précarité me faisait ressentir une telle humiliation aux côtés de charlie que je m'étais sentie forcée d'en piquer aussi, de mon côté. j'avais repéré un haut de soirée la semaine qui avait précédé, un bout de tissu qui excédait le budget de mon père, qui pourtant faisait tout pour subvenir à mes moindres caprices.

mais à cette époque, je pensais à ken. je ne pouvais concevoir une autre manière de le séduire qu'un des décolletés plongeant qui semblaient tant lui plaire. je voulais qu'il mette de côté l'idée qu'il se faisait de moi, celle de sa meilleure amie qui n'était jamais à la pointe de la mode. en rentrant chez moi après avoir subtilisé deux billets du porte-monnaie de mon père, je n'avais ressenti aucune honte vis-à-vis de mon délit. j'étais fière, confiante, parce que je pensais enfin avoir entre les mains le saint-graal qui me permettrait d'accéder au cœur de ken.

CHÂTEAU DE SABLEWhere stories live. Discover now