maman bobo

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novembre deux-milles quatorze

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novembre deux-milles quatorze

- j't'attends ici ?

- tu peux rentrer chez toi si tu veux, je lui réponds alors qu'il vient tout juste de s'allumer une clope.

ken roule des yeux.

- j't'ai dit que j't'invitais au restau. et j'ai rien à faire ce matin de toute façon, j'vais au stud' ce soir.

- t'es sûr ?

- tu fais chier, maddy. allez, vas-y. et si jamais ça va pas, tu sors et on va direct bouffer. j'bouge pas d'ici.

- ok.

il me fait un câlin alors que je tiens le sac en plastique entre mes bras. je sais même pas si j'ai la force d'y retourner. c'est ken qui m'y pousse depuis qu'on se connaît, c'est toujours lui qui m'y accompagne. il me dit que c'est important de pas perdre contact. que même si ça m'attriste, ça m'énerve, ça me dégoûte ou que j'essaie d'oublier, elle n'a plus que moi. je vis sans elle mais elle ne vit pas sans moi.

- bon courage maddy.

je lui fais un signe de la main avant de rentrer dans l'enceinte du bâtiment. fouille, contrôle, dépôt de mon sac dans une consigne, je connais la chanson même si ça fait un moment que je l'ai pas chanté. la dernière fois que je suis venue, c'était en juin. on est déjà en novembre.

machinalement je regarde autour de moi pour m'assurer que personne ne me voit là où je suis. je sais que c'est bête, mais j'ai travaillé tellement dur pour acquérir le statut que j'ai aujourd'hui que j'ose même plus faire un pas de travers, par peur de connaître la régression sociale. c'est sûrement le plus difficile quand on est un transfuge de classe : oui, on est fier d'être arrivé là où on en est, seul ou accompagné, mais il existe toujours la crainte de tomber de l'échelle plutôt que de continuer à l'escalader. et je m'en veux de penser comme ça, d'agir en catégorisant mes relations, comme si certains liens avaient plus d'importances que d'autres parce qu'ils me garantissent une certaine sécurité dans la sphère sociale. parce que si on me voit d'une certaine manière, je deviens intouchable. jamais vulnérable.

- madeleine siaka. c'est pour venir voir edith simon.

j'ai honte, alors je regarde le sol, mais la marque de mes chaussures ne me permet pas de cacher ma honte. je ne sais pas si j'ai honte d'être ici ou honte d'avoir honte de l'être. sûrement les deux. l'un ne va pas sans l'autre.

- votre lien avec le détenu ?

- c'est ma mère.

je lui tends mon permis de visite. après un contrôle, il me fouille et me laisse déposer mes affaires personnelles.

- vous avez quoi dans le sac ?

- c'est du linge et quelques pulls d'hiver.

il fouille mon sac en plastique et fini par me laisser passer. un autre garde m'escorte vers le parloir. je regarde toutes les portes, comme un espoir que ce soit la dernière, que j'ai quatre couloirs à traverser pour ralentir le temps. je sais que je tiendrais pourtant pas bien longtemps dans la pièce avec elle. je lui dirais que je dois filer à un rendez-vous, ou que je dois voir charlie, ou papa. c'est plus fort que moi. j'y arrive pas.

CHÂTEAU DE SABLEWhere stories live. Discover now