MOUVEMENT N°5

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𝐆𝐄𝐑𝐌𝐀𝐈𝐍


On était tous attablés dans la cuisine, mon père en face de moi, ma sœur, Thaïs, sur ma droite. Notre mère sortait du frigo du taboulé, fait il y a deux jours en ma compagnie. Personne ne parle, du moins pas avant qu'elle ne daigne réellement se joindre à nous. J'aimerais lui dire de me laisser faire, que ce n'est pas son rôle de s'occuper de ça, mais je connais déjà sa réponse et sa réaction. Elle me lancerait un regard noir, comme pour me dire que si je dis un mot en plus, je peux vite partir de chez elle, que c'est elle qui a décidé d'avoir une famille, des enfants et un mari et que c'est à elle de prendre soin de nous. 

Mais prend-elle soin d'elle ? Se repose-t-elle quand elle rentre du travail, sort-elle avec ses amies au restaurant ou au cinéma ? Fait-elle tout ça, ou gâche-t-elle sa vie en nous surprotégeant ? 

Mon père est le premier à lui dire de venir s'assoir. Il lui fait même du chantage. Quand je pense qu'elle va lui rire au nez et le mitrailler du regard, elle s'accoude au plan de travail et se tourne vers nous. Puis elle va se poser sur la chaise qui lui ait attitré, nous lançant à tous un sourire.

— Vous m'avez eue. Tous, se plaint-elle en nous montrant du doigt, telle l'impolie qu'elle est. Une fois, pas deux.

— Ça tombe bien, je ne sais pas compter, rigolais-je en allant chercher le reste du repas.

Je suis de dos et ne peux donc pas voir comment elle est, mais je pourrais parier qu'elle sert les dents et se retient de me répliquer quelque chose. 

Ma mère est biologiste et mon père est directeur d'hôtel. Nous ne roulons pas sur l'or, mais sur l'amour. Jamais nous n'avons, même une seconde, arrêté de se chérir et de s'aimer. C'est grâce à eux que j'ai pu voir la vie d'une autre forme et commencer à vivre pleinement. Depuis mon enfance, ils m'ont toujours dit que si on ne s'aime pas soi-même, on ne pourra pas aimer les autres. Je ne peux pas affirmer pleinement que je suis la personne que j'aime le plus dans cette pièce, mais ils ont bel et bien raison. 

Il m'a fallu du temps pour le comprendre, et de nombreux discours adressés à ma sœur et moi-même. 

Mais maintenant, il ne passe pas une journée sans que je ne répande l'amour qui m'a été donné et dise à ma chère mère que je l'aime. C'est grâce à elle tout ça. C'est elle qui m'a emmené à mon premier cours de danse alors que j'y allais à reculons. C'est elle qui veille sur nous, malgré notre âge avancé et le fait que je sois bientôt majeur et que Thaïs le soit depuis longtemps maintenant. 

Ma grande sœur a vingt-ans et toutes ses dents, enfin je crois. Elle vit à quelques minutes d'ici mais ne peux pas s'empêcher de venir réclamer de l'amour, trop souvent à mon goût, dans cette maison. Après tout, c'est la sienne aussi. Mais quand même! Elle collectionne aussi les copains, il y a bien longtemps que j'ai arrêté de compter le nombre de garçons qui sont passés devant mes yeux. Je peux même assurer que la moitié de ses conquêtes ne nous ont pas été présentées. Et alléluia. Je n'ai pas une super bonne mémoire quand il s'agit de choses qui ne m'intéressent pas, et loin de moi l'envie de détruire leur petit égo. Elle le fait mieux que moi. 

Elle a beau être bizarre, pas plus que moi, bien entendu, je l'aime plus que je ne devrais. Thaïs sait ce qu'elle veut et quand elle ne sait pas, on peut être sûr que ce ne soit pas pour longtemps. Elle est la première à manifester pour des causes qui ne la concernent peut-être pas. Mais l'engouement qu'elle y met, fait que petit à petit, elles commencent à aussi lui appartenir. Thaïs est la première à me dire quand j'ai de la sauce sur le nez ou se foutre de moi quand je fais une blague qui n'est pas drôle. Même si, être drôle, elle ne sait pas ce que ça signifie. 

À l'unissonOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz