MOUVEMENT N°11

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𝐆𝐄𝐑𝐌𝐀𝐈𝐍


Seize heures viennent de sonner quand j'aperçois mon groupe d'amis au loin. On devait se rejoindre aujourd'hui pour faire du skate ensemble. Ils étaient en cercle, avec cette même place toujours libre pour ma planche et moi. Tous les deux, nous avons toujours été à cet endroit précis, et ce depuis l'instant où elle m'a appartenu. 

Avant que je ne décide de faire un coucou au sol et à l'hôpital, on se retrouvait tous les mardis. C'était notre petit rituel. Le moment où on pouvait pleinement se faire traiter de vieux par des gamins qui pensaient nous en mettre plein la vue. Ils nous disaient que notre tour était passé et que la nouvelle génération – eux, bien entendu – allait prendre notre place et nous démolir. Je les revois encore, tous les six alignés devant nous, leur skate dans leur main droite. Chacun d'eux nous a dit une phrase, comme s'ils avaient préparé ce moment depuis des semaines. 

On les a seulement regardés, avant de partir. Je crois qu'ils nous en veulent encore plus, à présent. 

Alors, quand nous nous retrouvons en même temps qu'eux ici, c'est la guerre. Comme aujourd'hui. Au moment où je croise le regard de Théo, je sais que je vais avoir besoin d'un repas ce soir, d'un bon thé et de glace. Enormément de glace. Mais c'est pour la bonne cause. Je suis peut-être cassé, mais pas tant que ça. J'ai encore quelques tours en réserve. 

— J'espère qu'ils sont prêts, ces gosses, je leur annonce, toujours plus sûr que nous avons encore notre place sur les rampes. 

Mao me tape le dos et nous montons chacun sur notre planche. Je souris intensément, enchaînant de nombreuses figures, certaines plus simples que d'autres. Si la danse n'existait pas, c'est à cet endroit que je me sentirais le plus dans mon élément. J'en suis plus que sur, maintenant que j'ai pu reprendre ces deux activités. 

Faire du skate est une passion commune à plusieurs personnes, alors que danser peut être vu comme un don, pour certains. Alors que nous évoluons, rien d'autre ne nous empêche d'être ce que nous voulons. Nous sourions, tombons pour toujours se relever. L'apprentissage est le mot d'ordre de la danse, je le comprends de plus en plus en ce moment. 

Je repense à hier. À Leslye et notre mini représentation. Son visage ne cesse d'envahir mes pensées. Son front contre mon torse alors qu'elle était sur le point de fondre en larmes. Cette vision continue de me faire grimacer. Elle n'aurait jamais dû vivre ça. Hier ou les autres jours. Elle m'a bien fait comprendre que ce n'était pas la première fois, que ce soit avec ce garçon ou un autre. Ce n'est pas la première fois qu'elle subit cela. Ces attaques, ces agression continuelles. Je n'arrive pas à me dire que des hommes et des femmes puissent se montrer aussi misérables en compagnie d'un être humain, d'une âme qui ne cherchait qu'à suivre son chemin. 

Celle de Leslye est amochée. Peut-être que la danse la répare un peu tous les jours. Ou peut-être qu'elle ne cherche pas à se reconstruire. Et que c'est pour cette raison que la perfection est sa seule option. Elle n'a pas pu l'avoir d'un côté, alors elle la repêche d'un autre. 

Mais ça ne suffit pas. Ça ne suffira jamais, qu'elle le veuille ou non. 

Je ne cherche pas à dire que je m'y connais en agressions verbales, comme celle que Leslye a vécu, seulement qu'il doit falloir du temps pour s'en remettre. Ou qu'on ne s'en remet jamais. Qu'on garde nos émotions pour nous et que le silence est notre seule solution dans ces cas-là. 

Ce que j'espère pour elle et pour toutes les personnes qui vivent cela, c'est qu'ils aient quelqu'un à qui en parler. Que ce quelqu'un soit prêt à passer des heures à sécher leurs larmes, à les rassurer et leur promettre que tout ira bien. Même si c'est faux, car personne ne prédit l'avenir ici. 

À l'unissonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant