MOUVEMENT N°18

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𝐋𝐄𝐒𝐋𝐘𝐄

Cet après-midi j'ai deux heures de cours en compagnie de Monsieur Mansart. J'ai demandé de prendre des cours particuliers avec lui, pour être le plus possible au niveau qu'il exige de moi. Mais aussi pour pouvoir paraitre un peu plus talentueuse devant Germain. Après l'image que j'ai pu lui donner, il me faut lui en montrer une bien plus belle. 

Depuis hier, depuis cette fête précisément, je ne fais que penser à nous. Mais plus particulièrement, à celle que j'ai été au début avec lui. Il n'était qu'un garçon au mauvais endroit, ne sachant pas ce qu'il faisait dans ce studio. Et moi, la seule chose que j'ai trouvé à faire, c'est l'embêter avec mon histoire de perfection. Et tout ça, sans savoir que nous recherchions la même chose depuis des années. 

Que nous espérions la même chose. 

Je ne suis sûre de rien concernant ce que mon cœur me dit, ni même si le message qu'il veut me passer est légitime. Si je le suis envers lui. 

Rien ne nous unit, outre la danse et l'espoir. Et ce rien si représentatif devient, à mesure que j'y pense, un peu plus petit. Il est surplombé par l'envie de vivre, enfin. Je ne pensais pas que ce mot allait devenir aussi important pour moi depuis lui. Ce n'en était qu'un parmi tant d'autres, mais c'est celui que j'ai choisi quand il a prononcé sa première phrase. Je ne m'en étais pas rendue compte, mais il avait bel et bien raison. 

Il me faut vivre. Il me le faut, désespérément. Si je ne vis pas, nous n'existons pas. 

Mais pour le moment, je ne dois pas penser à ça. J'en suis interdite. 

J'arrive dix minutes en avance, me laissant le temps de me préparer autant physiquement que moralement. Ce n'est pas la première fois que j'ai recours à ce genre de cours. Ce n'est pas parce que je me sens inferieure aux autres par rapport à mon niveau en danse, ais parce que cette stupide perfection ne cesse de me suivre. Et même quand je lui claque la porte au nez, elle la casse pour essayer de m'avoir rien que pour elle. 

Ce n'est pas le pire qu'elle ait pu faire, mais c'est l'une des choses qui enlève de peu de fierté en moi. 

Alors, je m'installe dans le studio, serrant mon chignon jusqu'à une légère douleur. C'est cette douleur qui me convient. Et puis, au moment où mon cerveau n'est pas encore prêt pour ça, la porte s'ouvre, se refermant quelques secondes plus tard. 

Je suis toujours dos à lui et il me faut prendre ma respiration avant de lui faire face.

— Bonjour Leslye, j'espère que ton début de journée s'est bien passé ?

Un sourire apparait sur mon visage. Il n'est peut-être pas le plus vrai qu'il ait eu, mais c'est le seul je peux donner maintenant. 

Mais que lui répondre ? La question qu'il devrait me poser, est plutôt : J'espère que ton cœur n'a pas trop mal ? Mais qu'en sait-il ? Qu'en sais-je, moi-même ?

— Bonjour Monsieur Mansart, ça a été un peu compliqué mais danser va me faire du bien. Surtout si c'est un votre compagnie.

Il rigole et s'avance vers moi posant sa main sur mon bras. Je recule automatiquement, prise de souvenirs. Ça ne semble pas l'inquiéter ni le perturber car il me demande de me positionner au milieu du studio et d'exécuter ce que j'ai appris pour le moment. Je fais ce qu'il me demande, sous son regard lourd. Il tourne en rond dans la pièce, en faisant le tour le temps de ma danse. Je suis légèrement troublée car il semble tout aussi différent aujourd'hui, que moi. Tout en dansant, je ne peux m'empêcher de prier, même si je ne suis toujours pas croyant. Je ne sais même pas pourquoi, peut-être un mauvais pressentiment ? Cela fait bien longtemps que je ne l'ai pas ressenti et il me brise le peu de cœur qu'il me reste. 

Et comme je m'y attendais, il s'approche de moi et sans mon autorisation ni sans me demander si ça me gênait, pose ses mains sur mes cuisses, pour soi-disant mieux me tenir durant l'une de mes pirouettes. Ses mots contre moi ont un sens particulier. Et ce n'est pas celui qu'il devait avoir. Je le laisse m'aider, même si je ressens une tout autre envie, me disant qu'ils ne sont pas tous les mêmes. Mais quand ces mêmes mains se font encore plus insistantes, je ne peux plus. 

Je recule instantanément, mon cœur battant beaucoup trop vite. Sans les avoir demandé, je sens des larmes perler au bord de mes yeux et son sourire en coin me donne des frissons. Il sait parfaitement ce qu'il fait et ce qu'il crée en moi. Je n'ai mis personne au courant, personne n'a su le pourquoi de je suis venue à Angers du jour au lendemain. Mais pourtant, avec moi, il a visé juste. 

Il peut me dire tout ce qu'il veut, me donner les quelques fausses excuses qu'il veut que j'entende. Cela fait bien longtemps que j'ai arrêté de croire tout ce qu'on me dit. Même si c'est vrai, il me faut toujours quelques instants pour admettre que chaque vérité n'est pas un mensonge. 

Certainement que d'un point de vue extérieur, les gestes qu'il vient d'avoir n'ont rien de déplacés, mais pour moi ils le sont bien trop. 

Je ne le laisse pas même dire un mot et pars directement, sous le choc, mes anciens souvenirs qui refassent surface. J'avais pourtant essayé de les effacer, mais quand ses mains se sont posées au même endroit que celles de l'autre, je n'ai rien pu faire. C'était bien plus fort que moi et tous les efforts que j'ai longtemps faits. Rien n'était prévu, mais c'est comme si j'étais avertie depuis le début.

J'aurai dû tout arrêter ce jour-là. Car aujourd'hui rien n'est nouveau. 

Je m'enferme dans les toilettes plusieurs minutes, et d'un coup, tout me revient. Les nombreux souvenirs que je grade de ce moment refont surface. Ses yeux, sa langue, ses doigts. Tout ce qui faisait de lui celui qu'il était. 

Et comme les autres, personne n'a jamais rien remarqué. Ils étaient tous les deux les mêmes. Des profs remarquables et dans les deux histoires, c'est moi la victime. Ou peut-être est-ce eux ? Nous souffrons tous les trois de leurs actes, à eux deux. Aucun de nous ne sortira de ce moment indemne. 

De leur côté, leur carrière peut être brisée. Et du mien, je le suis déjà. Tout ce qui m'entoure est voué à un jour faire de moi celle que je suis aujourd'hui. Cette version de Leslye qui a peur à chaque fois qu'un garçon comme Baptise lui parle ou qu'un comme Germain prends soin d'elle. Je suis terrifiée à l'idée que derrière ses gentils mots, se cachent les nombreuses choses que tous ces psychopathes cachent. 

Je tremble, trop pour que je puisse m'arrêter. Je pleure, trop pour qu'un jour il me reste encore des larmes. Mais j'attends, pour sourire ou tout simplement pour sortir. 

J'ai tué cette ancienne version de moi, mais la nouvelle version n'est pas meilleure.

ne m'en voulez pas

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ne m'en voulez pas.

À l'unissonWhere stories live. Discover now