CHAPITRE 5

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« Tu n'es plus là où tu étais mais
tu es partout là où je suis. »
— Victor Hugo.

ISABELLA.

Mes parents sont morts, il y a neuf ans.

Un bouquet de roses blanches est posé entre leurs pierres tombales, signe que ma grand-mère est passée plutôt ce matin, sûrement après la messe.

Maman détestait les roses.
Papa aussi.
Ils préféraient tous les deux les tulipes, roses.

Je soupire doucement, déposant alors les fleurs à côté de celles qu'elle a achetées. Je m'éloigne légèrement, continuant une fois les mains vides de me gratter la main droite.

Nous sommes dimanche, aujourd'hui. Je déteste les dimanches, je les déteste depuis que j'ai dix ans. Habituellement, je viens avec abuelita après la messe, aujourd'hui elle a changé sa routine, sûrement pour ne pas me voir.

Je grimace lorsque mes ongles finissent par m'arracher de la peau. Je soupire de nouveau, mon cœur est lourd, comme toujours. J'inspire et expire en essayant de faire abstraction de ce poids qui me coupe le souffle.

Le souvenir de mes parents m'est désagréable, le dimanche encore plus. Ce jour ne me fait pas seulement penser à leur mort mais à tout ce qui a suivi après leur décès. C'est ça, cette partie désagréable.

C'est pour cette raison que habituellement, je préfère rester dans la voiture pendant que ma grand-mère multiplie les condoléances lorsqu'elle achète les fleurs. Je hais les condoléances, plus que tout au monde.

La petite fille de dix ans n'en a jamais reçue. Personne ne s'était préoccupé de cette petite fille devenue orpheline. Alors, pour quelle raison le feraient-ils, neuf ans plus tard ? Neuf ans trop tard...

Je ne peux pas m'empêcher de penser à ma grand-mère. Cette période-là est floue pour elle, elle ne se souvient de pas grand chose. Elle était devenue un fantôme, mais moi je me souviens.

Je me rappelle de tout.
Absolument tout.

C'était un soir d'hiver, à quelques semaines de Noël. Grand-mère et moi étions sorties pour acheter les cadeaux et c'est en revenant dans la voiture que notre vie à complètement changé.

Je me rappelle avoir allumé la radio, mais tout sauf de la musique s'est fait entendre. Je me souviens de chaque mots prononcés à la radio, je me rappelle exactement des voix qui ont annoncé le décès de mes parents à tout le Venezuela ce soir-là.

"Ce soir, c'est le coeur lourd
que nous prenons la parole.
Deux étoiles nous ont quittés, ce soir.
María Ruiz et Daniel Reid se sont envolés.
Ce jeudi 18 décembre à Moscou."

Mes poils s'hérissent rien qu'en entendant à nouveau cette annonce. J'ignore l'état de ma main droite et continue de me gratter la peau. Un goût amer emplit ma bouche alors que les voix des chroniqueurs résonnent dans ma tête.

"La police se pencherait sur la piste
d'un possible suicide."

Je ferme brutalement les yeux et tente de chasser tous ces souvenirs du mieux que je peux. Je n'ai pas besoin de me rappeler que mes parents ont choisi de s'en aller de ce monde.

Je relis sans pouvoir m'arrêter leurs pierres tombales. Je m'accroupis, incapable de rester debout.

"À la mémoire de María Ruiz et Daniel Reid.
Des enfants et parents qui ont fait de leur mieux."

María.
Ce n'est pas moi.

Avant ce drame, j'étais Isabella aux yeux de ma grand-mère. Mais aujourd'hui, je suis María.

Chuchotement d'un AngeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant