CHAPITRE 5 - MOJITO ET CULOTTE

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Clark

Ça va faire une semaine. Une semaine que je me balade comme un zombie dans les rues de Londres entre mon appartement et mon lieu de travail. Une semaine que mes cernes se creusent parce que je pleure toute la nuit. Une semaine que j'achète chaque jour un bouquet de glaïeuls. Des roses, des rouges, des oranges, des blanches, toutes les couleurs y passent à tel point que même Eilen qui doit être la femme la plus indulgente m'a demandé ce matin de ne plus en acheter.

Je suis un zombie qui parcourt notre appartement. L'enterrement a eu lieu hier, ma robe noire jonche le sol de ma chambre et je n'ai pas eu le courage de mettre autre chose qu'un tee-shirt qui masque à peine mes fesses.

Je m'empare d'une bouteille de rhum blanc, verse le liquide au milieu de glaçons et de feuilles de menthe. Je n'ai même pas cassé les glaçons avec le rouleau à pâtisserie. C'était trop d'efforts.

Ce soir, c'est dimanche soir et je suis seule. Eilen a déserté l'appartement, Jimmy a sûrement trouvé une excuse pour ne plus croiser mon chemin mais je sais que, le moment venu, il reviendra et ce ne sera pas pour me laisser paisiblement boire un mojito en sous-vêtements.

Je me laisse tomber dans le canapé, face à la fenêtre ouverte. Ce n'est que le mois de septembre et j'ai le sentiment que cette année va être horrible. J'ai toujours fonctionné en année scolaire, avec des résolutions fin août qui disparaissent fin septembre pour laisser place aux habitudes début octobre.

Il fait nuit. C'est une nuit sans étoile, sans mamie.

Mon portable vibre encore une fois sur la table basse. Je ne regarde plus l'écran. Mon père me harcèle et lorsque j'ai eu le malheur de le croiser à l'enterrement c'était pour me menacer avec toute son armée d'avocats. Je ne ferai pas le poids. Je n'ai pas les moyens, ni même le courage de me battre. Je veux juste penser à elle, me remémorer son visage en boucle pour être certaine de ne jamais l'oublier. Je veux jouer au Scrabble en son honneur, lui donner des bonbons sous la table et la regarder sourire comme une gamine quand je lui annonce que l'on peut sortir à Harrod's. C'est le moment où elle fait flamber sa carte bleue pour s'acheter des sacs à main Hermès, où l'on bave devant les robes de créatures, devant les chaussures hors de prix et où l'on se permet de s'acheter du foie gras et de la fleur de sel que l'on mange dans un parc au milieu des fleurs et des écureuils.

Mon portable vibre, il ne s'arrête pas mais tout ce que je veux c'est ma mamie. Je veux sentir sa peau vieillissante sous mes doigts, l'odeur de sa crème hydratante qu'elle applique toutes les heures. Je veux voir son sourire, entendre son rire et ses réprimandes auprès du boucher quand il lui annonce qu'ils n'ont plus de jambon ibérique d'Espagne.

Mon portable vibre en continu mais je ne veux plus m'arrêter de penser à elle, à sa façon de manger comme si chaque plat était une bénédiction, comme si la cuisine était un art qui n'est pas donné à tout le monde de maîtriser. Elle voulait me pousser à faire le tour d'Europe pour déguster toutes les saveurs de chaque région de chaque pays mais j'ai préféré voyager de capitale en capitale pour arpenter les musées.

Mon portable vibre et je m'apprête à donner un coup de pied dedans quand je sursaute en entendant quelqu'un frapper rageusement à la porte.

- Kent ! Ouvre-moi ou décroche ce putain de téléphone !

- C'est ouvert, je réponds sans même prendre le temps d'identifier la voix.

J'entends la porte qui s'ouvre. Je porte mon verre à ma bouche, avachie dans le canapé en attendant les étoiles. Mamie va briller, ce soir ou demain, elle brillera toujours.

- Bordel... Mais Eilen et Jim' branlent quoi ?

Finn apparaît dans mon champ de vision. Finn Hindon est dans mon salon alors que je l'ai vu pour la dernière fois il y a sept ans. Le rhum doit être passé d'autant d'années pour que je me mette à halluciner à ce point. A moins que ce soit la menthe que j'ai mis dans mon verre.

Ruthless ThornWhere stories live. Discover now