CHAPITRE 12 - UN MENU SAVOUREUX

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Clark

Je voudrais être comme les œuvres d'art de Niki de Saint-Phalle. Aussi joyeuses, rayonnantes et heureuses. Mais je n'y arrive pas. Je ne pense qu'à l'argent, à mon père, à ma grand-mère, à ma sculpture dans l'atelier de Mika.

Au fond, je crois que je suis plutôt comme la sculpture « L'homme qui marche » de Alberto Giacometti. Aussi sèche, grande, mortuaire et sombre avec des yeux béants.

Je crois que je n'arrive pas à voir le côté positif en ce moment. J'ai l'impression que tous les sorts s'acharnent contre moi. J'ai beau essayer, sortir, voir des gens j'ai seulement envie d'être ici et d'hurler. Je ne hurle pas, je pleure. Je me contente de passer mes soirées assise dans l'herbe proche de ce petit parterre de fleurs.

Une fois que vous êtes mort, les gens ne viennent plus vous rendre visite. Il vous pense partout et nulle part. Je crois que ma grand-mère aurait aimé que quelqu'un lui rende visite.

Je fixe le bouquet de fleurs que je m'évertue de changer. Ma grand-mère aimait les couleurs, les matières différentes. C'était une femme hors pairs, de celles qui savent apprécier le travail à sa valeur, de celles qui savent reconnaître la sueur que vous avez donné rien qu'en regardant le résultat.

Il pleut et pourtant, quand je suis là, assise, je sens la chaleur qu'elle donnait avec un simple sourire. Elle était nulle en cuisine mais un génie en couture. Elle savait repérer une création en un clin d'œil. Lors des fashion weeks, elle pouvait vous dire quelle création ferait un carton et laquelle ne serait même pas exposée en vitrine. C'était une mordue de la mode et malgré tous ses efforts pour me transmettre sa passion, j'ai choisi la sculpture.

Je pense qu'elle n'a jamais compris mon choix et moi-même, je ne l'ignore encore. Pendant des années, j'ai lu et relu les livres qu'elle possédait mais dans les musées, c'est toujours vers les statues que je me dirigeais. C'est comme un magnétisme. Je peux passer des heures à regarder une statue grecque, à me balader au même étage du British muséum ou encore à observer une œuvre exposée dans la rue.

Je me souviens de Florence, Rome, Athènes et Paris. Je voulais suivre ma mère, l'accompagner dans ses visites mais elle me laissait constamment dans les bras de ma nourrice. J'essayais de sortir de la maison, de négocier mais mes parents lui interdisaient de me laisser franchir le seuil de la porte. J'étais une petite fille coincée dans une villa à devoir suivre les activités imposées. Piano, cours du soir, tennis, piscine et shopping. Voilà ma seule sortie. Les filles de mon école m'enviaient pour ma vie mais elles ignoraient que derrière les apparences, cette magnifique villa n'était qu'une prison.

Mon père n'a jamais voulu de fille. Il ne m'a pas appelé Clark pour rien. Ce prénom qu'il pensait mixte lui allait bien. Je pourrais être quelqu'un sur le papier, me comporter comme il me façonnait mais il a oublié que ma mère entrait dans l'équation du modèle parental.

Ma mère, ma grand-mère, elles étaient les femmes qui m'ont servie de modèle. Si mon père l'avait réalisé plus tôt, il m'aurait envoyée dans ces internats où l'exigence est élevée, où les filles sont traitées comme les hommes. Il m'a même inscrite au rugby une année puis il a cédé pour la boxe lorsque ma grand-mère m'y a convertie.

- Madame. Le cimetière va fermer.

Je me redresse sous la pluie. Mon jean est trempé, mes converses imbibées d'eau et les gouttes perlent sur ma veste.

Je regarde une dernière fois la tombe avant plusieurs jours. Je dépose ma main sur le marbre froid et dans un dernier salut, je me retourne.

Les allées fleuries du cimetière forment un contraste avec le temps qu'il y fait. On pourrait croire que la vie sort de terre et qu'elle résiste à la tristesse du ciel. C'est un peu comme une confrontation entre les deux univers : le ciel et la terre.

Ruthless ThornOnde histórias criam vida. Descubra agora