CHAPITRE 9 - DANS L'ANTRE DU DIABLE

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Clark

La vie est comme une danse, un art dans lequel on s'épanouit. Je n'ai jamais ressenti autant d'émotion que lorsque mes mains caressent le marbre, le plâtre ou l'argile. Je pourrais fondre le bronze, tailler dans le bois mais ce sont des matériaux que je n'ai jamais aimé manipuler. Ils ne sont pas assez robustes, durs ou téméraires. J'ai toujours conçu le bronze comme une matière faible. Elle peut être fondue, être ramollie avant de durcir. Je ne suis pas comme ce matériau. Il ne me ressemble pas.

Petite, j'ai toujours aimé faire glisser la pulpe de mes doigts sur la pierre. Je parcourais les rochers le long de la mer en refusant de marcher sur le sable. Dans la rue, je préférais sentir la pierre, le crépis ou même la brique plutôt que l'aspect changeant du béton. Ils ne changent jamais. Ils restent solides. Ce ne sont pas comme les arbres qui plient face au vent. Je préfère que l'on me brise plutôt que d'être le bois qui flanche et s'adapte aux autres.

La vie, c'est comme ça que je la conçois. Marche ou crève. Je ne suis pas faible. Personne ne me dominera jamais. Je suis une Braxton, une femme de tête qui ne perd pas la face et si un seul élément peut me briser, c'est en le fuyant que je me protège.

Alors depuis que je suis en âge de tenir un burin et un marteau, je frappe. J'ai commencé sur la pierre, puis on a voulu me donner de l'argile mais j'ai rigolé au nez de mon professeur. L'argile c'est pour la décoration, les petites retouches. L'argile c'est malléable et je ne suis pas de ce que l'on façonne. Je me façonne moi-même avec le vent, la pluie et les tempêtes.

Je frappe pour me sentir libre, pour sentir la puissance de mes gestes, la force de mon corps et l'insoumission qui domine au fond de mon être. Je ne serai pas cette femme. Je ne suis pas de ces femmes qui pensent avec leur cœur mais avec raison.

Je ne laisserai pas Finn prendre le dessus sur mon corps. Je ne permettrai pas à Logan de m'imposer ses choix. Je ne laisserai personne m'atteindre et mon nom de famille, je refuse de le porter comme une épée de Damoclès. Je suis une Braxton, une femme de pouvoir, de domination et d'insubordination. Je tiendrai tête aux personnes qui refusent de se plier.

Le temps d'assumer mon identité arrive à grand pas et je suis prête à l'affronter avec toute la rage que j'ai au ventre.

Je frappe le marbre que je marque un peu plus. Des éclats volent dans la pièce. Mes lunettes de protection sur l'établi, je refuse de les porter car elles ne font que me brouiller la vue. Je frappe un nouveau coup avec le marteau avant d'assouplir un morceau de pierre.

Je recule de plusieurs pas et lâche d'épuisement mes outils. Ils tombent sur le sol dans un bruit sourd mais mon regard ne se détache pas de cette statue. Je sens mon sourire s'agrandir. Ce n'est pas le genre de sourire que l'on donne à un ami mais plutôt un mélange de fierté et de diabolisme. C'est comme une revanche à un ami.

Personne ne me touchera.

Les poètes disent que les mots sont puissants, je leurs répondrai que le marbre peut facilement s'en passer.

Adieu maman.

Je pourrais signer avec ces deux mots mais je sais que mon message passera sans lettre.

Adolescente, mes parents ont toujours refusé que je fasse de la sculpture, que je pratique l'art ou que je sois quelqu'un d'autre qui ne correspond pas à leur plan. A dix-huit ans, je suis partie avec le soutien de ma grand-mère. C'était magique. Comme leur brandir un majeur en l'air et rire dans leurs dos.

On a bien ri pendant plusieurs années avec ma grand-mère. On vivait de rire, de passions et de bohèmes. On a refusé de se laisser abattre par son entrée en maison de retraite. On continuait à jouer les adolescentes rebelles et tout allait bien.

Ruthless ThornWhere stories live. Discover now