Prologue. La théorie des sardines

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Séléné

(8 septembre 2023)

— Aaaaarrh ! Je vais être en retard !

Les mains moites et crispées sur le volant, je peste après ce fichu feu rouge qui me nargue. La journée a démarré sur les chapeaux de roues, par une panne de réveil.

Ça m'apprendra à geeker jusqu'à pas d'heure.

Je suis déjà en train de me faire le film du désastre à venir. Le train va partir sans moi, j'arriverai trop tard, je ne pourrai pas finir mon inscription. Plus de fac, plus d'avenir, plus rien. Ma vie sera foutue. Je dois me calmer, ça ne sert à rien que je me monte le bourrichon comme ça, tout ira bien. La SNCF n'est pas connue pour sa ponctualité.

— Tu la bouges ta bagnole, vieux con, ou faut que je te pousse ?! hurlé-je en klaxonnant le mou de la pédale de devant qui n'avance pas, alors que le feu est passé au vert.

Impatiente et furax après Murphy qui a réussi à me faire grimper au cocotier de bon matin, je profite d'avoir de la visibilité — et des chevaux sous le capot de mon Abarth 500, pour doubler la tortue et foncer vers la gare au mépris du Code de la route.

Être finalement à l'heure ne me calme pas pour autant et je trépigne sur le quai, stressée de retourner à la fac. Un signal sonore annonce l'arrivée du train et le doute s'empare de moi. Est-ce que j'ai bien pensé à prendre mon abonnement ? Je fouille frénétiquement dans mon sac. Rien. Je n'ai pas fait ça tout de même ? Je ne l'ai pas laissé à la maison ?

Vingt dieux ! Cette journée est un véritable enfer.

— Putain, merde, chier, con ! grondé-je sans retenue pour extérioriser mon angoisse.

L'homme près de moi me fustige du regard.

Il ne va quand même pas me chier une pendule à treize coups pour quelques insultes ?

D'un œil sombre, je le dissuade de formuler le moindre commentaire désobligeant quant à mon éducation, avant de m'accroupir pour vider mon sac par terre. J'en retourne tout le contenu jusqu'à mettre la main sur le précieux Graal. Alléluia ! Je soupire de soulagement et ramasse mes affaires à la hâte.

Si j'ai opté pour ce mode de déplacement, c'est seulement pour des questions de commodité, non par amour du genre humain. Habitant à cinquante kilomètres de la fac, il est plus pratique de recourir aux transports en commun que d'aller m'engluer dans les embouteillages de la rocade bordelaise, à moins d'un gros pépin ou d'une grève.

Je monte dans le wagon et trouve un siège isolé près d'une fenêtre. Je me réfugie aussitôt dans ma bulle pour amorcer la phase détente. Un petit exercice de respiration me permet de faire redescendre la tension. Les écouteurs vissés dans les oreilles, je lance Spotify sur mon téléphone, bercée par les premières notes de Morning Song, l'un de mes titres favoris de Mademoiselle K, véritable papesse du rock français à mes yeux.

Morning I wait for the evening to come

But it never comes

Morning I wait for desire to come

With a beautiful song

Arrivée à Bordeaux Saint-Jean, je traverse la gare à grands pas pour me rendre au guichet du service des transports urbains et quelques minutes plus tard, je suis l'heureuse détentrice d'un pass estampillé Transports Bordeaux Métropole.

Et la Lune s'éprit du SoleilWhere stories live. Discover now