4. Rapprochements

34 9 3
                                    

Séléné

À cette heure-ci, il n'y a plus de file d'attente à la cafétéria. Nous nous installons sur la terrasse pour manger, assis l'un en face de l'autre.

— Bon alors, tu m'expliques pourquoi tu émerges à l'aube le matin ?

— Je vis toujours chez mes parents et je viens à la fac en train et transports en commun. Et comme on débute à la première heure tous les jours et que j'ai une heure trente de voyage, je me lève très tôt.

— Ah ouais, c'est dur en effet. Tu es bien courageuse, moi je ne pourrais pas tenir le rythme si je devais faire pareil. Pourquoi tu n'as pas pris un appart en ville ?

— J'apprécie le calme de la campagne. Sans omettre que les logements sur Bordeaux et les alentours proches coûtent une fortune. J'ai passé des heures avec ma mère à faire les annonces cet été. Et surtout, j'adore ma famille, je peux encore profiter d'eux. Si j'habitais près de la fac, je les verrais beaucoup moins, je suppose. Mais avec les problèmes récurrents du train, je sens que ça va être compliqué. Je n'ai vraiment pas envie de me rater cette année, maintenant que j'ai enfin trouvé les études qui me plaisent.

— Ah, toi aussi tu as eu des soucis d'orientation après le bac ?

— Comment ça, moi aussi ? Tu as quel âge ?

— Je vais avoir 22 ans le 20 octobre et...

— C'est pas vrai ! Idem pour moi, mais le 21 octobre ! Du coup, tu n'en es pas à ta première année non plus, alors ?

— Non, j'ai un parcours éclectique... J'ai obtenu mon bac en avance. Comme mon père aimerait que je reprenne l'entreprise familiale après lui, j'ai finalement fait un CAP puis un BP de tailleur de pierre. Mais je n'étais ni prêt ni sûr de savoir que faire de ma vie. Du coup, j'ai rejoint mes deux amis d'enfance qui font leurs études sur Bordeaux et l'année dernière j'étais en première année de psycho sur le campus en centre-ville.

J'écarquille les yeux de surprise en l'entendant me raconter tout ça. Son cursus est vraiment très atypique.

— Hein ? Mais comment as-tu pu passer de la taille de pierre à la psychologie ?

— Très bonne question, à laquelle je ne suis pas en mesure de répondre. Une erreur de parcours... dit-il en fronçant soudainement les sourcils, comme s'il songeait à un évènement douloureux. Ça ne m'a pas plus emballé que ça et j'ai donc décidé de changer pour l'histoire de l'art. J'ai toujours aimé ça. Et toi alors, comment tu t'es retrouvée là ?

— Après mon bac, j'ai vagabondé comme une âme en peine pendant trois ans. Une première année de lettres classiques ici même, puis une première année de BTS NDRC pas concluante du tout, et enfin une année sabbatique à galérer et à me questionner sur mon avenir... Jusqu'à ce que je réalise que j'aurais dû m'orienter en histoire de l'art aussitôt après le bac. Et me voilà ici, ponctué-je en haussant les épaules.

— Ton parcours est aussi diversifié que le mien. Un gros point en commun entre nous.

Il m'adresse une fois de plus son sourire charmeur et je rougis. Encore. Fichtre, ce n'est pas possible ça. Je vais avoir l'air de quoi à force ? Je suis sûre qu'il le fait exprès en plus. Je ne suis pas étonnée que Laly et les autres passent leur temps à le bader. Quand il fait ça, aucune nana normalement constituée ne peut lui résister. Ses beaux yeux émeraude me dévisagent et me voilà troublée, à gober les mouches. Je secoue la tête pour me ressaisir.

— Bon, allez, il faut qu'on y retourne. On a du boulot ! m'empressé-je de dire.

Et puis surtout, s'il continue de me regarder comme ça, je vais finir par m'évanouir de gêne.

Et la Lune s'éprit du SoleilWhere stories live. Discover now