Les petits papiers #1 : Le Cid

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Article par sasa411 sur Le Cid, de Corneille

Le Cid, c'est avant tout une historie d'honneur. Une dignité qui sépare et brise les liens, les liens du sang, les liens d'amour.

Rodrigue aime Chimène et elle.... Dieu, qu'elle l'aime! Dans un monde parfait où les deux parents s'entendent et consentent au mariage, les deux jeunes-gens ne pouvaient être plus heureux.

Sauf que... Sauf que l'honneur s'en mêle, éclate les liens d'amitié, brise les règles et soumet Rodrigue au choix le plus cruel.

Réduit au triste choix, ou de trahir sa belle, ou de vivre en rebelle, il se voit contraint d'obéir à son père, et trahit sa bien-aimée en vengeant son paternel.

Ce qui devait devenir la plus belle histoire d'amour se résume alors à une haine voilée. Rodrigue a commis un acte impardonnable, et Chimène ne peut que souhaiter sa mort. S'en suit alors un ballet endiablé où le garçon veut se faire pardonner de la pire des façons, et la jeune-femme préfère se plonger dans sa haine pour oublier ses passions dévorantes.

Les amants, consumés par leurs tourments, doivent alors assumer des choix cornéliens aux conséquences bien lourdes.

Je dois dire que, comme beaucoup, les vers m'ont un peu refroidie au début. On voit ces nouvelles expressions sorties de nulle part et on se demande si on se retrouve simplement quelques siècles en arrière, ou si on est carrément remonté à la préhistoire.

Je sais, je sais, nous connaissons tous ce moment où notre professeur de français nous fait lire un livre sortant d'un autre millénaire, et, d'après un coup d'oeil rapide, on en déduit qu'il n'a pas vraiment été traduit. Oui, oui, je vous vois déjà, soufflant à chaque nouvelle page !

Seulement, les vers apportent une mélodie qu'on apprend à apprécier après les dix premières pages. J'aime cette histoire, j'aime l'image qu'elle inspire de son époque, j'aime ces personnages torturés qui se trouvent face à des choses bien plus grandes qu'eux. De plus, les vers limitent grandement la taille du texte, et les petites notes en bas de page qu'on peut retrouver chez certaines éditions (Hachette ou Larousse, pour ne citer qu'eux) facilitent la lecture.

Si je retiens une leçon de ce livre si classique, c'est que l'on ne doit pas laisser notre fierté nous conduire, ou l'on perdra tout à essayer de ne pas la tâcher. Je suis plutôt du genre à avoir une fierté mal placée et lorsque je vois Chimène, digne, qui veut voir son amour périr pour venger l'honneur de son père, je ne peux que m'y reconnaître. Qui n'a pas déjà préféré sacrifier son bonheur pour qu'un proche soit soulagé, honoré? Et bien c'est le problème de ces deux jeunes héros.

On pourrait facilement les comparer à de pauvres adolescents d'aujourd'hui en pleine crise, qui subissent la pression de leurs parents et qui sont totalement fous de leur moitié.

Mais pour vous donner une meilleure idée du livre, j'ai décidé de faire un petit voyage dans le temps, pour débarquer au 17ème siècle afin d'interroger Cornie Chéri, en live.

- Alors, beau brun, comment t'es venu l'idée du Cid ? », demandais-je en ignorant la migraine que la machine spatio-temporel venait de me causer.

Et bien, contrairement à vous, ça m'arrivait encore d'écouter, en cours. Et quand mon professeur m'a parlé d'un héros espagnol qui -comment vous dites, déjà? Qui en pinçait grave?- pour la fille d'un homme qu'il avait tué jadis, cela m'a donné l'idée un peu farfelu de créer cette tragi-comédie.

- Et si tu nous racontais un peu ta vie, en deux trois phrases ?

Et bien, j'étais l'aîné d'une grande famille, assez aisée. Je n'ai pas vraiment souffert des maux de l'époque, à vrai dire. On m'a fait suivre des cours de droit et mon père a fait en sorte que je trouve une belle place. Mais, fichtre, il voulait que j'aille plaider devant tout un parquet, ce malade! J'osais à peine parler face à ma feuille de papier et à mon encrier !

- Tiens donc, le grand auteur et dramaturge du 17ème siècle souffrirait donc de timidité ? C'est possible ça ? Et pourquoi as-tu commencé à écrire ?

Une peine d'amour, comme tout le monde. J'ai voulu extérioriser mes souffrances et comme beaucoup de... De quoi, déjà? De Wattpadiens? Et bien, comme beaucoup de Wattpadiens, j'ai trouvé un refuge dans l'écriture. Et j'ai eu des échecs, des flops, j'ai perdu de l'argent, j'en ai fait perdre à d'autre qui avait cru en moi... Oui, oui, même à Molière! Mais j'ai continué, j'ai eu foi en moi et en mon art.

- Parle-nous un peu plus du Cid. J'ai entendu dire que ça a causé un sacré merdier, ton chef-d'œuvre !

Votre langage tout de même, Mademoiselle ! Mais oui, vous avez raison, mon livre a plu au public, mais pas à l'Académie française. Disons qu'ici, nous avons des règles à suivre, des chemins bien tracés dont on ne peut divaguer. J'ai voulu jouer au petit malin, et j'ai un peu trop libérer ma plume. Si mes spectateurs ont apprécié la pièce de théâtre, les grands de ce monde ont beaucoup moins apprécié que je ne bafoue leurs lois. Vous dites venir de quel siècle, déjà, avec vos apprêts si étranges? Du 31e? Et bien, sachez que j'envie votre liberté d'expression, parce qu'ici, c'est Classique. Aucune scène violente, une histoire qui ne se déroule sur plus de trois jours... Et on ne peut certainement pas parler de pays ennemis de la France ! On risque gros à vouloir jouer son révolté.

- Pauvre Cornie, ça me touche tout ça...

Vous vous rendez compte qu'ils m'ont quand même envoyé leurs reproches en vers?! Ils ne savaient pas les écrire en prose, il fallait qu'il laisse libre court à leur vanité! Ils voulaient que je change la fin, que je revienne sur mon dénouement, mais c'était ma vie, ce livre. J'y avais mis toute mes tripes, et je n'avais aucunement envie de revenir sur ce que j'avais choisi.

- J'admire votre courage, Corneille. Et j'espère qu'on se reverra bientôt, question que vous m'offrez un petit thée et un ou deux autographes (plutôt deux, pour que je puisse me faire un peu d'argent sur Ebay).

Et alors que je remontais dans la machine pour retourner chez moi, quelques pages de mon exemplaire s'envolèrent sous la puissance du moteur, faisant glisser quelques phrases du Cid dans mon article à demi-rédigé.


"Ecoute quels assauts brave encor ma vertu.

L'amour est un tyran qui n'épargne personne :

Ce jeune cavalier, cette amant que je donne,

Je l'aime.

La moitié de ma vie à mis l'autre au tombeau,

Et m'oblige à venger, après ce coup funeste,

Celle que je n'ai plus sur celle qui me reste.

Et tellement, tellement d'autres petites perles étaient restées coincées dans la reliure de mon livre..."

Wattpad MagWhere stories live. Discover now