Chapitre 2. Le Port.

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J'ouvre les yeux. Une lune presque entière inonde ma chambre de rayons argentés. Une brise fait doucement remuer mes rideaux. La nuit est là, son manteau d'azur sombre médaillé d'étoiles crépitantes de lueurs inconnues. 

Je quitte mon lit et m'agenouillant au sol, j'arrache une planche de bois, cachée sous mon tapis. Là, j'y attrape un fouillis de vêtement que je me hâte de vêtir. J'hôte ma longue chemise de nuit et revêt un large chemisier et un pantalon noir que je serre par une ceinture brune. Je chausse mes hautes bottes d'équitation. Je couvre mes épaules d'une cape mais avant d'y abattre la capuche sur ma tête, il me reste quelque chose de primordial à accomplir...

Je m'assoies à ma coiffeuse et observe mon visage une dernière fois. Mes traits sont fins et émincés. Mes yeux verts y mettent une légère couche de charme. Mais ce que j'aime le plus, ce sont mes longs cheveux bruns aux nuances blondes, qui ondulent sur mes épaules. Joséphine est blonde mais elle a toujours envié mes cheveux. Au Soleil, ils flamboient. 

Un étau me serre le cœur quand mes doigts attrapent mes ciseaux et me mordant les lèvres, je coupe ces longues mèches, ces mêmes mèches qui donnaient à mon visage de jeune fille le charme parfait pour attirer l'attention. Grâce à elles, on m'offrait des sourires et des regards admiratifs. 

Mais tout cela est finit. Mes ciseaux n'ont pas de pitié. Ils arrachent tous ces cheveux pour ne me laisser qu'une touffe sur le crâne. Ces mèches se déposent sur le sol comme des plumes de cygne balayées par une brise. Avant de lâcher ces ciseaux, je coupe mes longs cils en faisant garde de ne pas me blesser. Puis j'attrape de la cendre que j'ai précieusement recueilli et l'applique légèrement sur ma face. 

Enfin je coiffe cette vilaine touffe qui m'accorde ce que je désirais : le visage d'un homme.

Oh non je n'aie pas perdue ma féminité ! Je porte de larges bandes de tissus contre la poitrine mais je ne peux rien faire contre ma taille maigre, mes mollets courbés, et ce visage de femme que la nature m'a offert, je ne pourrais jamais le perdre.

Je jette mon balluchon en cuir sur mon dos et sur la pointe des pieds, je me glisse hors de ma chambre, descends l'escalier et passe par la fenêtre de l'arrière cuisine. Voilà. Je suis dehors. L'air frais frappe mon nouveau visage. Je me cache sous la capuche de mon ample manteau et sans un regard en arrière, je marche vers le port, appelée par le chant de la mer. 

L'océan crie mon nom depuis trop longtemps ! Et cet appel me procure tellement de frissons de bien être ! Que je suis heureuse d'avoir enfin fait mon choix ! Je ne regrette rien. 

Le port est plongé dans le silence de la nuit. Quelques mouettes, un chat, les vagues, des bateaux de pêche, un voilier, du vent, les étoiles et la lune. Ces mots résument mon comte de fée à moi. Je ne demandent pas plus. Je ne désire pas moins. 

En attendant les premières lueurs de l'aube, je marche le plus loin possible de ma demeure. Le port de Rochefort est immense et bondé dès la mâtiné. Je dois passer inaperçue parmi la foule de marchands et de matelots.

Puis je termine ma nuit, assise contre le mur d'une boutique, la tête posée sur mes bras, serrant mes jambes contre moi afin de me protéger du vent froid. 

Demain, je trouverai un bateau et je parviendrais à me faire engager comme matelot. 

Je ne suis plus Céline de Montfort, mais Denis, en l'honneur de mon père, mort alors que j'avais à peine sept ans et qui me manque terriblement. J'ignore toujours la cause de son décès. Mère continue de nous le cacher, comme si nous étions encore des gamines qu'il ne faut pas brusquer...

J'aime à imaginer qu'il était corsaire, ou capitaine d'un puissant navire de combat et qu'il est mort, touché au cœur par une balle alors qu'il tenté de sauver son équipage de la fureur des pirates sanguinaires...

Ou tout simplement était-il paysan ou forgeron et décédé d'une pauvre toux...

Quoi qu'il fut, je préfère suivre son exemple que celui de ma mère. Elle passe ses journées à boire du thé dans son salon à la petite cuillère et à méditer sur des livres de philosophie. Joséphine et Henriette vont me manquer. Mais nous n'étions pas assez proches. Joséphine a toujours la tête plongée dans ses peintures ; elle allait bientôt quitter la maison, et Henriette est trop jeune et trop naïve. Elles ne rêvaient que de château et de prince charmant. N'est-ce pas normal de vouloir suivre ses rêves ? C'est ce que je suis en train de réaliser. Mon prince s'étend devant moi, noble et fier, et me tend ses bras. J'étais si impatiente de faire sa connaissance ! Mais l'attente est fini. Demain nous serons enfin réunis !









A bord de l'Espadon.Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon