Chapitre 31. La dernière nuit.

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Impossible de trouver le sommeil. Un pleine lune surplombe la mer de milles feux argentés. Pieds-nus, mon châle recouvrant mes épaules, je sors sur le pont pour prendre l'air. Je respire à pleins poumons l'iode frais. 

Soudain je suis violemment poussée par derrière. Je m'affale par terre et me retourne, stupéfaite. Une silhouette se dresse devant moi, mais son visage est baigné dans l'obscurité.

-Mais qu'est-ce qui vous pris ? Je m'exclame d'une voix cinglante.

L'homme s'accroupit, un fin poignard luisant entre ses mains. 

-Chère Céline...Siffle l'homme entre ses dents.

-David ?!

Ses cheveux blonds sont devenus ternes et gras, quand à ses yeux, ils pétillent de haine et de soif de vengeance. Je recule, épouvantée devant ce visage balafré par la rage. Je rampe sur le pont mais une main glaciale s'agrippe à ma robe.

-Doucement ma jolie...Grince-t-il. J'ai une vengeance à accomplir...

-André vous a vu mourir ! Je m'écrie en me débattant.

Il émet un rire guttural qui me donne des frissons. 

-Peut être est-ce un mensonge ? Peut être est-il de mon côté ? 

Apeurée, je me relève d'un bond et m'éloigne de ce monstre sanguinaire. Mais une autre silhouette me bloque la route. Le Capitaine Krap, un sourire dégoulinant de bave sur la face, s'interpose entre moi et la sortie. 

-Fais vite, dit Krap, et jette le cadavre à l'eau.

-Oh non...Réplique David. Laisse moi savourer ce moment...

Et son couteau s'approche de ma gorge. Je l'évite de justesse et bousculant le Capitaine, je me précipite vers les cabines. Mais un long sifflement feint l'air et la lame aiguisée du poignard lancée par David m'atteint dans l'épaule. Je pousse un cri de douleur et m'effondre par terre, gémissante. Je me retourne sur le dos et essoufflée, fixe mes deux agresseurs qui s'avancent.

-Pauvre petite sirène, fait David sur un ton adouci. Tout ça à cause de son vilain papa...

Mon sang coule, et je sens la lame écorchée mes os et découpée ma chair. 

-Démons..! Je crache, écœurée.

David pose un genou à terre et ses doigts crasseux caressent ma joue. 

-Prête à aller rejoindre son cher papa dans le néant ? Après tout, vous l'avez tous les deux mérités, n'est-ce pas Denis ?

D'un geste brusque, je repousse sa main et arrache le couteau de mon épaule en serrant les dents pour ne pas me plaindre, et j'enfonce la lame dans sa gorge. 

-Ça c'est pour l'Espadon, dis-je, et pour tout son équipage. 

Un râle immonde sort de sa bouche, accompagnée d'une giclée de sang dont je m'écarte, dégoûtée. Ses yeux virent au blanc et c'est toute sa figure qui est déformée par l'effroi de la mort. Il s'affaisse et agonisant, je retire le couteau et l'enfonce dans sa poitrine.

-Et ça c'est pour mon père ! Adieu David ! 

Il s'écroule enfin dans une marre de sang, et meurt, les yeux vidés de toute vie, fixant le ciel illuminés de milles chandelles crépitantes. 

Krap bondit hors du pont et plonge dans l'eau. Exténuée, je laisse tomber ma tête sur le bois humide. Ma poitrine se soulève et s'abaisse rapidement. Mon épaule appelle à l'aide mais la force et le courage m'ont abandonnée. 

Alors je reste là, étendue, les étoiles scintillant au dessus de mon visage où mon souffle en panache blanc les rejoint. 

David est mort. Et c'est ma vengeance que j'ai accompli. J'ai vengé le magnifique bâtiment nommé l'Espadon, qui fut mon remède face à ma prison, grâce à lui j'ai vogué sur mon Bien Aimé, affrontant les tornades et les typhons, et qui fut cruellement mis en pièce par les flammes impitoyables, mais qui restera toujours au fond de ma pensée, telle le vaisseau de mes rêves, transporteur de délices.

J'ai vengé mon père, Denis de Montfort, marin héroïque, dont j'ai eu l'honneur de porté le nom et le prénom. Mon père, celui qui a goûté au même ardent désir que moi de parcourir le globe, vague après vague, sans crainte de perdre courage, téméraire et sans pitié pour l'aventure. 

J'ai vengé le Capitaine Brick, tué par la main des pirates, que David avait stratégiquement inviter à rejoindre sa stupide cause.

J'ai vengé mes camarades : Brack, Nick le Fou, Carole, Mathieu, l'adorable Moineau, Tom, César, le Coq, Oscar, Sully, Willem, Philippe, Bosco, Max, et mon cher ami Alix qui furent les compagnons joyeux, fidèles, et braves de mon odyssée. Ils me manquent, mais je sourie aux souvenirs plaisants que nous avons partagés ensemble. Ne pas pleurer le passé, mais le redécouvrir en souriant et en pleurant des larmes de joies. 

J'ai vengé le terrible chagrin qui a capturé ma mère pendant de si longues années. Elle a tant soupiré le départ de père ! Elle a perdu un mari, mais n'a-t-elle pas gagné une fille ? Une fille qui voulu faire sa fierté et qui a redonner à la famille la touche honorifique que son père avait cueilli autrefois. 

Un visage se penche sur le mien et une voix masculine, familière depuis plusieurs mois, et qui m'a tout de suite frappée par sa douceur à la tonalité si mystérieuse, et qui a envoûtée mon âme au fil des jours, cette voix qui appelle mon prénom dans la nuit, et qui cherche mon regard. 

-Céline ? Fait André.

                                                                     *******FIN*******
















A bord de l'Espadon.Where stories live. Discover now