Chapitre 24. L'Espagne.

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Le temps m'a semblé duré une éternité. Tandis que la barque envoyée sur l'île s'éloigne, à bord, l'équipage rassemble les cadavres. Les pirates tués sont jetés à la mer et avec effroi, je contemple les requins engloutissant les corps, créant une mare de sang autour de la coque. 

Un religieux prononce quelques mots devant les soldats défunts alignés. Un médecin s'occupe des blessés. La fierté couronne ma tête : à part de petites égratignures inoffensives, je n'aie pas été touchée par la violence du combat. 

Un marin accoure vers M. Tiburón, un courrier entre les mains : 

-Capitaine ! Un message ! Nous devons rentrer d'urgence au port ! La reine Isabelle II vous convie à Saint Jacques de Compostelle !

-Parfait. Chacun à son poste. Levez l'encre ! Direction le port de Corogne.

Et voilà que la Belle Sirena se met en marche. Angoissée, je me précipite en haut des marches.

-Capitaine ! Je m'exclame, affolée, et la chaloupe ? 

-Ils nous rejoindront au port. Ne vous faites pas d'inquiétude, il seront là avant le lever du jour. Quant à nous, nous serons au port avant la tombée de la nuit. Reposez-vous.

C'est ce que je fis ensuite. A l'arrière du bâtiment, il y a une grande salle où se retrouve l'équipage pour discuter et jouer aux cartes. Je me suis allongée sur un large canapé et j'ai fermé les yeux, apaisée, à l'abri du danger. 

-Señorita ?

J'ouvre les yeux. Un marin me secoue gentiment l'épaule. 

-Llegamos. 

Je fais signe que j'ai compris. Un rayon de lune illumine la salle. Je me lève et retourne sur le pont. L'Océan ne s'étend plus face à moi. Nous ne sommes arrêté dans un magnifique golf. La ville aux couleurs exotiques se prolonge jusqu'à l'horizon. La nuit se reflète dans l'eau. Je quitte le navire par la passerelle. Tout est calme à cette heure-ci. Quelques boutiques sont encore éclairées. On peut percevoir des acclamations des auberges. 

Où dois-je me rendre ? Dois-je attendre ici le retour de la chaloupe ? Il fait légèrement frais. Mais ce n'est pas le pire, mon ventre réclame à manger. La douleur est presque insupportable. Je rentre dans la première auberge. Le calme disparaît aussitôt : des danseuses vêtues de longues robes dansent au milieu et même sur les tables. L'odeur sent le vin. Une musique espagnole fait vibrer la salle. Je me trouve un coin tranquille, loin du brouhaha. Je sors de ma poche quelques pièces françaises ; mon Dieu ! Est-ce tout ce qu'il me reste ? Si seulement je n'avais pas tout dépensé dans ces paris avec Nick le Fou à propos des sirènes ! 

Le serveur, un homme gros mais au regard sympatrique avec sa longue moustache, s'avance à ma table : 

-¿ Què quieres tomar señorita ?

-Aqua y comer, dis-je maladroitement.

Il hoche la tête et s'en va. N'ayant jamais appris l'espagnol, je me fie à ceux que j'ai entendu autrefois. J'aperçois quelques soldats de la Bella Sirena. Mais ce n'est rien à voir avec ceux de tout à l'heure ; ils s'empiffrent d'alcool et prennent les danseuses sur leur genou.                       La solitude pèse sur mes épaules. Et si la barque ne revenait jamais ? Si David avait tué André et Barck ? Le serveur m'apporte un verre d'eau et un bouillon de légume. Affamée, je me jette sur la soupe brûlante. 

Je sens qu'on m'épie du regard. Adossé au mur, plongé dans l'ombre, un homme me fixe, ses yeux semblent s'embraser à la lueur de la bougie posée à sa table. Je détourne le regard, ayant sans doute affaire à un homme ivre à l'esprit dérangé. Tiens ! Voilà le Capitaine Tiburón qui arrive à son tour. Je me sens déjà plus en sécurité sauf quand il se met à rire aux éclats, une choppe de bière à la main. 

Finalement une fois mon repas fini, je laisse mes pièces françaises dans l'assiette et quitte l'auberge. Je m'engouffre alors dans les rues ténébreuses et glacial de la Corogne, cherchant le port des yeux. 

J'ai dû me tromper de routes. Je m'apprête à faire demi-tour quand deux silhouettes apparaissent au coin de la rue où je me situe.

Sans perdre une seconde, je sors le petit pistolet de David et le pointe dans leur direction. 

-N'approchez-pas où je tire, je lance d'une voix sèche.

Amusée, je les regarde reculer et s'éclipser. Je ne me reconnais plus. La Céline d'autrefois aurait pousser des cris et se serait enfui, se prenant les pieds dans les jupons de sa longue robe. 



A bord de l'Espadon.Where stories live. Discover now