Chapitre 10. La Franchise du Second.

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Un énorme livre dégringole de l'étagère et me tombe sur les pieds. Retenant une insulte, je le ramasse et le nettoie à l'aide d'un vieux chiffon déjà bien sale. 

Je passe ma mâtiné à faire le ménage dans le bureau du Capitaine. Celui-ci est mal en point. Willem reste constamment près de lui, dans sa chambre. C'est M. Nighton qui a pris le commandement du navire. Il se débrouille plutôt bien ; les hommes le respectent et il sait se faire obéir. Mais nous craignons tous pour la survie de notre Capitaine...Il a été touché par une balle au niveau de la gorge et une autre au bassin. Nous préférons garder le silence à son sujet.

Pour ce qui est de mes blessures, mon bras et mon front se portent bien. Ce ne sont plus que deux vilaines cicatrices. J'ai un gros bleu dans le dos et c'est douloureux quand je touche mais je n'en ai parlé à personne. Si Willem m'avait examiné, il aurai remarqué quelque chose d'étrange au niveau de la poitrine...

J'aime bien cette pièce. Il y a une grande baie vitré qui donne sur la mer à l'arrière du bâtiment. Le bureau n'est qu'un fouillis de parchemin, de cartes,  de compas, de plumes à écrire, de bouteilles d'encre...Il y a même un crâne de poisson. Je passe le chiffon sur les placards, profitant pour jeter quelques coups d'œils dans les livres. Certains ont des illustrations magnifiques ! Ils doivent avoir plus de valeur que les croquis de David ! 

J'entends des bottes claquées dans le couloir; Je referme mon livre et le range avant de me remettre au travail. C'est le Second. Il entre et sans faire attention à ma petite personne, il cherche quelque chose sur le bureau. 

Ses yeux marrons-oranges passent d'un papier à l'autre et ses longues mains se promènent sur la paperasse. Le vent a ébouriffé ses cheveux châtain mais il reste encore des traces de soleil et à certains endroits ils blondissent. Il me lance sans me regarder : 

-Dites-moi Céline,  connaissez vous Xavier, le petit fils du maire de Rochefort ?

-Oui, je soupire, malheureusement je voies de qui il s'...

Je m'arrête. Comment m'a-t-il appelé ?! Il a dit Céline ou Denis ? Il a dit quoi ? Je me tourne vers lui, mes yeux écarquillés, la bouche en o. 

-Vous...Vous...Je bafouille.

Il me regarde ; impossible de déchiffrer l'expression de son visage. 

-Vous le connaissez, n'est-ce pas ? Continue-t-il.

-Co-comment m'avez vous appelé ? J'articule avec difficulté.

-Par votre prénom. 

J'ai mal à la poitrine tant mon cœur frappe à un rythme angoissant. Il a un léger sourire au coin des lèvres et on dirait qu'il va exploser de rire. Se moque-t-il de moi ?

-C'est à dire...? Je demande d'une voix très faible.

-Céline.

Mon chiffon me tombe des mains. Mes jambes tremblent et je sens que je vais m'évanouir. Il me connait. Non seulement il a découvert la supercherie mais en plus il ME connait. Je voudrais rentrer sous terre. C'est tout mon corps qui veut disparaître de la surface du monde. 

-Qu'y-a t-il ? M'interroge-t-il comme si de rien n'était.

Mes lèvres tremblent. Je les mords pour me calmer mais mes dents vont trop loin et le gout du sang m'envahit. 

-Vous saviez....

-Bien sûr. Dès le jour où vous vous êtes présentée comme volontaire pour naviguer avec nous.

Je secoue la tête de droite à gauche. Il ment forcement. Je vais sortir de ce cauchemar. Je vais me réveiller. 

-Non Céline, continue-t-il comme si il lisait dans mes pensées. Vous n'êtes pas en train de rêver. Je suis le deuxième fils du Duc de Gascogne, c'est à dire le frère du fiancé de votre sœur aînée Joséphine. 

Je reste muette comme une pierre.

-En vérité, je vous connais depuis un long moment. Vous étiez à la prise d'arme il y a plusieurs semaines du Commandant Nicolas. Je n'aurais jamais juré de vous revoir le lendemain en tenue de marin, le visage abîmé, abandonnant sa propre famille pour galoper sur les mers. Mais visiblement vous étiez prête à tout. Dois-je envoyer un courrier à votre mère ?

Les larmes me montent aux yeux.

-Non ! J'hurle. Je vous en supplie ! Ne faites pas ça ! 

Il soupire.

-Ce n'est pas les bonnes conditions pour une jeune fille.

-Mais j'y arrive très bien ! Aucun membre de l'équipage n'a deviné !

-Vous avez failli vous faire tuer hier si...

-Mais je ne suis pas morte ! 

Son regard déborde de pitié. 

-Vous périrez avant qu'on parvienne à notre destination finale.

-Si vous gardez le secret, je survivrais. Si vous le dévoilez, oui, je périrais.

Il sourit et je le lui rend.

-S'il vous plait. Agissez comme si rien ne s'était passé. Je reste Denis. L'équipage se portera beaucoup mieux. 

-D'accord. Mais vous ne pourrez vous cacher éternellement.

-Je ne demande pas l'éternité, juste le temps de notre voyage. 









A bord de l'Espadon.Where stories live. Discover now