Chapitre 8. Saint Sébastien.

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Je suis allongée dans mon hamac. Le rythme du bateau me berce comme une mère auprès de son enfant. Mais je ne parviens pas à m'endormir. Je n'aie pas la conscience tranquille. Mon esprit est agité. 

Je revoies les traits de la jeune fille sur la feuille de papier du carnet de David. Dans mon ancienne maison, il y avait une peinture de mes sœurs et moi.  Nous avions été très bien représentées. Et à chaque fois que je passais devant cette peinture, je souriais, amusée de me voir comme dans un miroir. J'ai ressenti la même chose, excepté que je n'aie pas sourie. J'étais bouleversée et je le suis toujours ! Comment est-ce possible ? 

Qu'il dessine des filles, ça n'a pas d'importance mais il m'a prise comme modèle ! Pourtant je fais tout ce que je peux pour cacher ma féminité ! Mais il est temps que je me rentre ça dans la tête : il y aura toujours des traces. Si ce n'est mon corps affiné, ça sera mon visage ciselé et mes pommettes qui rosissent lorsque Alix ou M. Nighton m'adressent la parole. Il y aura toujours des marques. Je serais pourchassée sans cesse par ma voix délicate et aiguë. Dois-je pour cela m'arracher la langue ? Quel cauchemar ! 

Le lendemain, nous faisons notre premier arrêt. Nous devons larguer plusieurs marchandises au port de Saint Sébastien en Espagne. 

C'est un port magnifique. L'eau turquoise forme une large baie suivie d'une vaste plage de sable couleur soleil. L'Espadon jette son encre et l'équipage profite pour mettre pied à terre. Je ne sais quoi faire. Une petite voix dans ma tête se fait entendre :  C'est bon. Tu as assez navigué. Reste sur terre maintenant où ta supercherie sera découverte. Tu as assez semé le doute. Reste sur terre !

Tandis qu'une autre voix me chuchote : Non tu es libre. Tu n'as encore pratiquement rien vu de ton bien aimé !  Ta vie ne fait que débutée ! Tu périras si tu es loin de l'Océan ! Demeure dans ses bras et  combat ses démons qui te tentent ! Jamais tu n'avais été aussi heureuse ! 

Et c'est celle que j'ai choisie. Après la livraison, je suis resté à bord. 

Mais j'ai vite regrettée ma décision.

Alors que nous continuions notre avancée, nous nous sommes éloignés des côtes espagnoles afin de pouvoir lâcher les voiles et profiter du vent pour accélérer l'allure. 

Nick le Fou et Tom sont perchés dans le nid de pie et on les entend rire aux éclats. Brack s'occupe vaguement de la barre ; il est plus préoccupé par sa chope de bière. Alix et d'autres matelots échangent une partie de carte, assis sur des tonneaux. Moineau se construit une canne à pêche. 

Quand à moi, je garde mes distances et admire d'un œil distrait les nuages aux formes étranges qui parcourent le ciel bleu sans jamais cacher la moindre lueur de lumière.

Tout d'un coup, mon regard se pose sur un autre bâtiment qui arrive dans notre direction. Il est loin et je suis incapable de lire leur pavillon d'ici. Mais je suis inquiète ; ma première pensée à la vue de ce navire est celle d'un drakkar, bateau des terribles vikings. Ou est-ce simplement que la coque est peinte de couleurs chatoyantes ? Est-ce un bateau pour touristes ? D'habitude ils doivent respecter une certaine distance avec la côte et ne peuvent donc pas s'éloigner à leur gré. 

Je vais quand même prévenir le Capitaine. Je ne le croise nul part et il me faut pour cela frapper à sa cabine. Mais sur ma route, je rencontre le Second et je ne peux m'empêcher de rougir.

-Lieutenant, il y a un autre navire en direction de l'Est qui avance vers nous.

-Vraiment ? Quel pavillon ?

-Je l'ignore. 

Il monte au niveau de la barre et attrape sa paire de jumelle. Son visage prend un air angoissé.

-Seigneur Dieu...Articule-t-il.

Alors qu'il la lâche, il se précipite vers ses hommes en hurlant :

-Des pirates !!

J'attrape à mon tour la paire de jumelle et fixe l'horizon. Le bateau est énorme et le mat monte haut. Quant au pavillon, il est noir comme le charbon, sur lequel est représenté une tête de mort.



























A bord de l'Espadon.Kde žijí příběhy. Začni objevovat