Chapitre 5. La Tempête.

160 16 1
                                    

A la vue de cette mer déchaînée et de ces nuages gonflés de colère et de danger, je recule d'effroi. 

-Monsieur ! Ais-je dit en me tournant vers le Second. On ne peut pas faire demi tour ?

Il me sourit et garde son sang froid. Mon visage doit être pâle comme l'écume. Mes mains tremblent. Le Capitaine sort de sa cabine et scrute la tempête qui se rapproche. Mais pourquoi diable restent-ils sans rien faire ? Nous allons tous y passer !

-Bien, messieurs, dit-il enfin. Chacun à son poste et tenez vos estomacs accrochés. 

Alix grimpe au filet et me fait signe de le suivre. Il est fou. Moineau me pousse :

-Allez ! C'est à nous de le faire !

-De faire quoi ? Je demande, la gorge serrée.

-De serrer les voiles !

Il me force à monter et sentant le regard de plusieurs matelots sur moi, je grimpe à mon tour.  Ils sont tous fous ! A peine suis-je arrivée à la première barre de flèche, que de grosses gouttes de pluie s'écrasent sur mon visage paniqué. Alix me tend une corde. Comment fait-il pour tenir avec autant d'équilibre ? Mes pieds glissent sur la corde humide. Je m'accroche à l'imposante barre de bois et laisse passer Moineau. En bas, les hommes s'activent. Et la tempête qui arrive...Le tonnerre gronde de plus belle et les vagues se sont transformées en monstres incontrôlables. J'aide mes camardes à serrer la corde qui maintient la voile. 

-Allez ! Dit Alix. La suivante.

Et le voilà, qui suivit de Moineau, continue son ascension. Peut être que là haut serais-je davantage protégée que sur le pont...

Je les rejoints et nous trafiquons la même chose. La dernière étape est le nid de pie, où un vigile, qui tient un objet inconnu dans la main nous regarde, amusé. Ce n'est pas amusant du tout ! Je sens que je vais défaillir et recracher mon cœur qui est au bord des lèvres. 

A cette hauteur, les hommes ressemblent à des petites pièces de maquette. Nous escaladons encore. Les mains d'Alix tremblent aussi. Moineau fixe les nuages qui sont pratiquement au dessus de nos têtes et j'admire son calme. Nous serrons les dernières cordes. Soudain un de mes pieds dérapent, je pousse un cri et je trébuche. Alix m'attrape le poignet. J'ai la bouche sèche. 

-Descendons maintenant, dit-il.

J'obéis avec plaisir. Le retour se déroule mieux même si la pluie frappe mon corps et déjà je sens l'eau me ruisselait de partout. Quand enfin mes pieds touchent le sol, je respire à nouveau. Je suis choqué par le paysage qui nous entoure. Il n'y a plus de lumière. L'obscurité règne et l'orage éclate à nos tympans. Les vagues déferlent avec un enthousiasme effrayant. Elles s'abattent contre la coque et à chaque pas je manque de glisser. Brack s'accroche à la barre et serre les dents. Visiblement, il endure. 

M. Nighton, qui il y a quelque minute était chic pour un bal, est maintenant mouillé jusqu'aux eaux, sa chemise colle son torse et la pluie lui dégouline sur le visage. Ils sont en train de tirer sur une corde ; je me joins à eux. Mes ongles s'enfoncent dans ma paume. L'effort est douloureux. La bateau zigzague et penche à chaque mouvement. Une fois le nœud fait,  je dévisage mes mains rougis et noire. Ma figure doit être dans le même état. Quand je pense, qu'hier encore, j'étais une jeune demoiselle en robe à dentelle et rubans ! Qui suis-je maintenant ? Où est passé la Céline de Montfort? 

Tout d'un coup un hurlement explose à côté de moi. Oscar, l'expression déformée par la souffrance, gémit. Son bras est coincé entre deux cordes et elles lui brûlent le bras. Je plaque instinctivement ma main sur ma bouche, épouvantée devant ce sang qui ruisselle. On me pousse et je regarde avec horreur M. Nighton tiré son couteau et tranché quelque chose. Puis il rafistole rapidement les cordes, aidé par Carole. Oscar se relève et péniblement s'oriente vers l'escalier, sa main sur son bras couvert d'une plaque rouge saignante. 

Je suis aveuglée par ce torrent qui continue de déferler, impitoyable. L'eau gicle de partout et je ne reconnais même pas les silhouettes qui se déplacent devant moi. Une main se pose sur mon épaule. J'aperçois le Capitaine dans un brouillard de gouttelette qui est obligé de crier pour se faire entendre :

-Denis ! Va dans les cales ! Va te reposer à l'abri !

Sans me faire prier, je descend aux cales jusqu'à mon hamac et je m'y blottie, trempée jusqu'à la moelle. Je grelotte de froid. Je jette mon manteau sur mes épaules. Mais impossible de fermer l'œil ; trop d'agitation. Les hommes et la mer hurlent ensemble en un seul vacarme assourdissant. Et voilà. Je regrette. Je regrette de ne pas être chez moi, dans mon lit, au chaud, au sec, bercé par les chants des oiseaux du jardin, par le piano de ma sœur. Quelle sotte ! Comment ais-je pu penser une seconde que j'étais faite pour l'Océan ? Suis-je donc bornée ? 

Quelques instants plus tard, Moineau se couche à son tour dans son hamac, pas loin du mien. Il me tend un sourire, ses cheveux semblent s'accrocher à son crâne tant l'eau les a aplati contre son visage. 

Oh mon Dieu ! Combien de temps cette tempête va-t-elle encore durer ? 



A bord de l'Espadon.Where stories live. Discover now