Chapitre 7. Le Croquis.

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A peine eu-je le temps d'ouvrir les yeux que je tombai sur le ventre, hors de mon hamac, me cognant les genoux contre le bois. 

-Que..? Fais-je, abasourdie.

-Debout matelot !

Je regarde autour de moi et me relève. C'est Nick qui vient nous réveiller ; sa manière est plutôt brutale mais au moins en quelques secondes me voilà sur pieds, prête à affronter le monde aquatique !

Je monte sur le pont en compagnie d'Alix. Pour le petit déjeuner, un œuf et une tasse de lait ! Quand je pense que je mange avec les doigts alors qu'à Rochefort, c'étaient fourchettes et couteau en argent ! Que dirait ma mère !

Une atmosphère chaleureuse règne sur le bateau. Capitaine et Second discutent. Alix me tend une éponge dégoulinante d'eau. 

-Nous devons laver le pont, me dit-il. 

Je ravale mon agacement et m'agenouillant au sol, je frotte le bois sec avec mon éponge humide. Moineau se joint à nous et sans faire attention, je chantonne. Mais avec ma voix féminine. Et je ne m'en rend même pas compte ! Submergée par la panique, je me mords les lèvres. 

Je bénis le ciel : les autres chantonnent avec moi et aucun ne pose de question. Et voilà que tous l'équipage entonne un chant jovial et motivant ! 

Puis soudain :

-Des dauphins !

Nous relevons tous la tête et en quelques instants, nous nous précipitons tous au bord et le chant se transforme en acclamations d'admiration.

-Quelle beauté ! Je lance, ébahie.

A quelques mètres du bâtiment, une dizaine de somptueux dauphins argentés fendent l'eau de leur nageoire dorsale. Ils sont si élégants ! Ils bondissent en tournant sur eux-même et dans leurs yeux luit un joyau de bonheur. Leur long bec s'étire en sourire et par instinct, je leur fais signe de la main. Ils sont si beaux ! On peut même les entendre couiner. 

-Messieurs, fait la voix du Second. 

Pensant recevoir un ordre désagréable, nous nous retournons, déçus. Mais souriant, il ajoute :

-Le dernier à l'eau prépare la soupe de ce soir !

Des cris de joie envahissent le ciel. Et dans un élan commun, les hommes plongent dans l'eau bleue. Alix hôte sa chemise et dans un hurlement d'épanouissement, se jette à la mer. Je les regarde, hésitante, sous l'emprise de la peur. Je sais nager mais je ne peux pas me déshabiller. Que faire ? Mais quelqu'un me bouscule et me prenant par les hanches, je suis balancée dans l'eau fraîche. J'ai juste le temps de fermer les yeux et la bouche avant d'être absorbée par une masse d'eau froide. Lorsque ma tête émerge, je pousse un cri de plaisir et reprend ma respiration. 

C'est incroyable ! Les dauphins jouent autour de nous en lançant leurs piaillements stridents. Je ris aux éclats tant je suis à l'aise. Moineau m'attrape la main ; sa petite tête lutte pour rester hors de l'eau. Les hommes s'éclaboussent comme des enfants près d'une fontaine. 

De là haut, M. Nighton nous épie et son visage rayonne d'amusement. Je ne me lasse pas de le voir si réjoui. Je profite pour effectuer quelques brasses. Un dauphin m'effleure. J'inspire une grande bouffée d'air avant de plonger la tête sous l'eau. Et j'ouvre les yeux. Un majestueux dauphin gris me fixe de ses deux beaux yeux doux. Il secoue son large museau comme pour me saluer. Je tend le bras et mes doigts caressent sa robe mais timide, il s'échappe.

Je remonte à la surface et lance, épanouie :

-J'en ai touché un !

Ils se mettent à m'applaudir et m'envoient de l'eau dans la figure ! Quelques marins restés à bord nous envoient une échelle souple et l'un après l'autre, nous remontons, mouillés comme après la pluie d'hier. 

-Alors ? Qui est l'élu ? Demande Brack.

-Je croies que c'est moi, dis-je en levant la main, légèrement embarrassée.

Tous explosent de rire et Alix me donne une tape gentille dans le dos :

-Je te donnerai un coup de main !

Mon cœur va éclater tant je suis enchantée ! Mais c'est alors que je croise le regard du Second ; ses fins sourcils sont froncés et il semble m'analyser. Rapidement j'attrape une couverture et m'enroule à l'intérieur. Non. Ce n'est pas ce qu'il croit. Cependant ce qu'il a vu ne peut le laisser indifférent ; mes habits collés à ma peau dévoilant une silhouette souple et émincée. 

Une fois séchés, nous nous remettons au travail. Mais toute joie s'est évaporée et le doute me frappe la poitrine. J'ai honte. Mon excitation m'a trahie. Je ne dois jamais remettre un pied dans l'eau ! 

David, l'artiste, se tient à quelque pas de moi et ses yeux circulent entre son carnet et ma personne. Est-il en train de faire un croquis dont je suis le sujet ? Je souris intérieurement.

C'est seulement à midi, lors de la pause, que je tombe sur son dessin, laisser de côté. J'y jette un coup d'œil, profitant de son absence.

Sidérée, je dévisage le croquis. C'est une jeune femme qui y figure. Et cette jeune femme, c'est moi.





A bord de l'Espadon.Donde viven las historias. Descúbrelo ahora