Heptasyllabe.
Sur le terrain instable, sous le ciel friable, ils courent. Ils font des tours et des tours, sans savoir pourquoi. Ils le font quand même parce qu'ils n'ont pas le choix. Et l'air froid leur agresse le visage, les jambes, les bras. JungKook ne sent plus ses doigts. Il le sait, il l'attend, c'est l'hiver qui arrive. Les nuages sont gris tels une brume lointaine, comme remplis de lumière. Et JungKook court, plusieurs mètres derrière NamJoon, perdu dans le troupeau. Son souffle est mauvais et sa prof le lui fait remarquer. Alors il se jette sur sa bouteille d'eau quand le sifflet retentit. NamJoon s'amuse en sport. JungKook fait comme il peut. Il s'étire pour éviter les courbatures. Immobile, le froid le tranche. Il ferme les yeux une seconde, souffle, puis les ouvre pour voir une autre classe débouler sur le terrain. Il détaille les arrivants, les visages rieurs des Terminales les jaugent puis se détournent. C'est la classe de TaeHyung. Mais TaeHyung n'est pas dans le groupe. Il n'est même pas dans les gradins. Il n'est même pas en tenue de sport.
TaeHyung se tient près d'un arbre, les mains enroulées autour des bretelles de son sac à dos. Il y a des flammes rouges dans ses cheveux, couronnant sa peau pâle. Hoseok le voit, hausse les épaules de désarroi puis se détourne. TaeHyung balaye le terrain d'un regard curieux puis s'apprête à reprendre son chemin quand il distingue JungKook dans son T-Shirt blanc. Il discute avec les autres. Il rit avec les autres. Il est avec les autres. Et TaeHyung n'est pas là. Personne ne le voit. Il n'est pas là. Il est nulle part. TaeHyung veut faire demi tour, mais de grands arcs de cercle fendent les formes rectilignes. JungKook agite le bras et le blanc de son T-shirt floute les ellipses. TaeHyung fait un signe timide de la main. Il ignore s'il l'a vu. Maintenant, JungKook court vers lui. TaeHyung sourit parce que JungKook sourit et que JungKook trottine et que JungKook s'arrête et qu'il pose furtivement le dos de sa main contre la joue de TaeHyung. TaeHyung sursaute. JungKook retire sa main.
« -C'est froid, hein ? »
TaeHyung pose sa paume couverte d'une mitaine sur sa joue et fait oui de la tête. Il est sûr qu'il y a une trace rouge de froid et de stupidité sur sa joue honteuse.
« -Qu'est-ce que t'écoutes ? »
C'est la musique qui répond. TaeHyung tend un écouteur à JungKook. Janis Joplin emplit son crâne. Il se sent bien. Il commence à pleuvoir. Et ils rient. Même si ce n'est pour aucune raison, ils le font quand même. Et comme TaeHyung ne fait pas de sport au lycée, il sèche. Et comme JungKook n'aime pas courir sans savoir vers où, il sèche aussi. Ils marchent autour du terrain, slaloment entre les arbres. Piece of my heart vient d'autre part, et sur une surface de plusieurs kilomètres, ils sont les seuls à l'entendre. Ils partagent les notes et les paroles. Égoïstes, ils les taisent aux oreilles du monde. Ils se cachent au dessus des nuages, à l'intérieur des gouttes de pluie. Parfois ils parlent, d'autres fois non. Un peu plus loin, les élèves courent. Ils tournent comme l'aiguille sur le cadran. Ils plongent dans le temps et deviennent les oubliés. Ils sont les seuls idiots à avoir le privilège d'être ensemble. Ils sont seuls. Et JungKook pense qu'il ne donnerait pas sa place. Et TaeHyung pense que, cette fois, il est là. C'est parce que JungKook le regarde. Il le regarde tellement. Il le regarde pendant que celui qui est vu n'ose pas lever la tête. Et il aimerait lever la tête. Et il se dit qu'il aimerait bien lire les mots dans ses prunelles sombres. Et il pense avoir assez de courage. Et il espère. Alors il lève la tête. Et JungKook est là. TaeHyung le trouve beau.
Et, pour une seule et rare fois, ils sont dans toutes les réalités mélangées.
