Élégie.

1.8K 372 82
                                    

Élégie.

JungKook savait que ce serait une mauvaise journée en se réveillant le matin mais il ne pensait pas qu'elle serait mauvaise comme ça. A huit heure, il s'est à demi endormi sur son test de littérature. A dix heure, il a senti son crâne imploser sous les coups de sa migraine. A midi, des types de la chorale se sont mis à chanter dans la cafétéria et il était à deux doigts de partir en courant. L'après midi ne l'a pas épargné non plus. Il avait l'impression d'entendre ses profs lui hurler dans les oreilles que la moindre erreur était mortelle. Et JungKook ne rêvait que d'une chose, les assommer avec cette saleté d'horloge en panne. Et le mauvais temps le tenait en cage depuis trop longtemps. Morose, morose, des morosités, tu finiras par me tuer.

Alors pour égorger l'instant, JungKook pense aux beaux jours, allégeant le plomb qu'il y a dans sa tête. Mais comme c'est toujours l'hiver, il sent que la nuit est proche en sortant le soir. Il est seul et il fera bientôt noir. Il a perdu ses écouteurs le matin même, alors dans le silence, il sent les nuages s'engorger de crépuscule. Et en levant la tête, il voit le ciel se déformer. Ses ombres partent alors se cacher derrière les branches des arbres qui bordent l'allée. JungKook enroule les lanières de son sac du bout des doigts. Il fait froid. Et soudain il aperçoit le soleil qui traverse le parking. TaeHyung ne porte qu'un large pull jaune mais il ne sent pas le froid. Il marche lentement, s'arrête, inspire, lève la tête, expire. Il ne respire plus. Et leurs regards se croisent mais ne se croisent pas. Il y a comme un mur dans les pupilles de TaeHyung. Mais TaeHyung s'approche de lui, marche sans pas, voit sans yeux, parle sans voix.

« -Je peux te parler ? »

JungKook sent le plomb dans sa tête couler hors de son crâne et voler jusqu'au ciel. Le ciel est de plus en plus voilé, de plus en plus sévère. Les mots de TaeHyung sonnent comme le tonnerre. Et non. Non. Il ne veut pas entendre des grondements pareils. Et il a peur de l'orage. Il voudrait se boucher les oreilles. Et ça transperce sa chair comme un éclair. Non. Que les cieux ravalent la tempête. Que la bouche de la Terre reprenne l'Enfer. Mais rien ne s'arrête. JungKook refuse des yeux, du bout du visage, de tout son corps glacial. Il tend la main. TaeHyung recule. Et ses mots murmurés affluent comme un ras de marée. Sa voix si petite chuchote la peur, mais c'est déjà trop fort. C'est déjà trop tard.

« -Je crois qu'il vaut mieux qu'on arrête d'être ensemble. Pardon. »

Gifle épouvantée. Tornade ébréchée. Mort muette. C'est terminé. Et c'est autre chose qui commence. Et les âmes poétesses ont presque honte de toute la misère du monde. Elles se détournent et se creusent des failles temporelles, pour protéger leur corps de porcelaine. TaeHyung a fait demi tour sans s'en rendre compte. Et quand il arrive devant chez lui il ne se souvient pas d'avoir marché si loin. Il s'assoit près de la porte car il n'est pas sûr de pouvoir porter son bras jusque là. Ce n'est qu'en sortant la poubelle un peu plus tard que sa mère lui demande ce qu'il fait assis devant le garage, à trembler comme une feuille, à murmurer comme un dément. Je sais pas. Elle dit qu'il n'y a que les idiots qui ne savent pas. Et en faisant volte face, elle laisse la porte ouverte. TaeHyung finit par rentrer. JungKook, lui, a fait comme tous les humains qui perdent un organe vital. Il meurt. Un peu. Et, tel un coup de poignard brutal, ce n'est qu'après quelques minutes qu'il sent la douleur électriser son corps. Il observe la nuit. Et dans sa tête il s'ordonne de ne pas pleurer, de pas pleurer, pas pleurer, pleurer.

Et dans une autre réalité, ils continuent de se frôler sans se remarquer dans les couloirs.

Âmes Poétesses - TaeKookWhere stories live. Discover now