Diérèse.

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Diérèse.

« -Tu n'as jamais été capable d'être toi. Et puis c'est quoi toi ? C'est rien. »

L'horloge fait un bruit lourd, immense, plombant. Et les aiguilles s'enfoncent un peu plus dans le silence. Et les protagonistes s'assourdissent de somnolence, s'aveuglant d'impuissance. TaeHyung est assis sur le vieux canapé. Il y a de la poussière qui jaillit hors du tissu, flottant à l'infini. Il entend le silence dans le petit appartement de sa grand mère. Et il se demande quel endroit aussi étroit peut contenir aussi peu de son, aussi peu de lumière. Il boit du thé à côté de sa mère qui boit du thé à côté de sa mère. Et tout le monde trouve ça normal. Le thé est amer, incolore, froid. Mauvais. Et agressé par la poussière, TaeHyung a envie de tousser. TaeHyung n'a pas envie de boire le thé. Mais sa mère est là. Alors il avale la liqueur immonde. Et il a les mains secouées, les doigts violents, prêts à briser la fausse porcelaine.

TaeHyung jette un coup d'œil par delà les trois couches de rideaux. Il y a un peu de ciel bleu derrière les nuages. Il fait pourtant sombre à l'intérieur. Un peu de froid passe sous la grande baie vitrée. Et par la fenêtre on aperçoit les appartements des autres immeubles délabrés. TaeHyung regarde la vue affreuse. Il ne l'aime pas. Il n'aime pas cet appartement. Il n'aime pas le thé. Il n'aime pas cette journée. Mais ça, il se garde bien de le dire. Et il se contente de contempler pendant que sa grand-mère parle vaguement de choses tristes. Il pose les yeux sur son frère. Son frère qui joue sur son téléphone et qui s'ennuie. Et il lève les yeux pour apercevoir son père qui traîne des pieds un peu partout. Et TaeHyung a envie de lui dire qu'il y a rien à voir, que l'appartement est minuscule, qu'il le connaît déjà par cœur et que le thé est infect. Mais ça ne se dit pas ces choses là. Alors sa mère hoche la tête quand sa grand mère parle, son petit frère s'ennuie, son père tourne en rond et l'horloge rouille lentement.

« -Regarde par terre, tu as tout cassé. Regarde par terre. C'est toi, ça ? »

TaeHyung venait souvent chez sa grand mère quand il était petit. Ces grands parents n'avaient pas beaucoup d'argent. Sa mère a grandi dans ce petit appartement, dans ce grand immeuble, dans un de ces quartiers qu'on appelle « défavorisé ». Une fois TaeHyung a cassé une tasse ici. Il s'en souvient bien. Sa mère a dit qu'il était incapable de s'occuper les mains correctement. Qu'il ne devait pas être normal. TaeHyung avait nettoyé les morceaux brisés. Il avait aussi nettoyé le sang qui avait coulé de sa paume. Et il l'avait caché parce que sa mère n'aimait pas les coupures. Et pendant que TaeHyung pense, il y a sa voix qu'il n'entend presque jamais qui résonne dans son crâne. Et TaeHyung est un silence.

En repartant avant la nuit, TaeHyung passe près d'un parc pour enfants, vide. Un jour qu'il jouait ici, il est tombé de l'échelle du toboggan et s'est blessé au genoux, et son pantalon s'est troué. Sa mère a dit qu'il était maladroit et que personne ne l'était comme ça. Qu'il n'était décidément pas normal. Depuis, TaeHyung se dit qu'elle n'aime pas les coupures. Le soir, sa mère est venue le voir dans sa chambre, lui a reproché d'être infect, puis est repartie. Il s'est demandé s'il était aussi infect que le thé. Il a fermé les yeux. Et il a souri. Parce que c'était presque drôle et que si sa mère le traitait comme s'il n'était rien, TaeHyung n'était rien.

Et personne ne mérite rien.

Et dans une autre réalité, il arrête de penser aux mots des autres tout le temps, il arrête de se poser des questions, il arrête de sourire bêtement, il arrête tout simplement.

Âmes Poétesses - TaeKookWhere stories live. Discover now