Éponyme.

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Éponyme.

Cyan sur tes doigts, branches de chair
Rouge sur tes poumons en colère
Magenta qui court le long de tes bras
Violet comme le ciel qu'on regardait là bas
Temps noir, instant blanc
Eternité de teintes et de pigments
Fleurs volantes dans tes cheveux
Parcelles solaires venues des cieux
L'amour clandestin que je te porte
Dans une mer pastelle il m'emporte
Et des fumées fauves je te crée
Quand tes pétales viennent à tomber
Ballade, rondeau, ou bien sonnet
Mille poèmes je fais pousser
Sur nos corps qui s'épousent
Peintures égarées et mains qui découvrent
Une fresque humaine et révoltée
Une monde sans serrure et sans clé
Où les mots sont un royaume
Et où tu coules depuis les saules
Pleureurs ; c'est moi qui pleure,
Quand tu me laisses dans la torpeur
A me languir tel un dément
De tes baisers laissés au vent

Il y a une tâche sur le papier. C'est peut être une larme. Et il est un peu froissé le papier. C'est peut être la main qui tremble, et les doigts convulsés, et un cœur retourné. Les quelques feuilles sorties de leur enveloppe jonchent le bureau. Quand TaeHyung est rentré chez lui, il pleurait encore. Et entre les souffles nocturnes, il a lu les poèmes de JungKook un à un. Il a pleuré en silence. Il a pleuré sans résistance. Puis il s'est endormi, recroquevillé sur son lit. Quand il s'est réveillé, c'était samedi, et le soleil lâchait ses rayons directement sur les draps. TaeHyung ne pleurait plus. Il ne restait que les traces de ses larmes envolées, incrustées sur ses joues. Et comme tout était flou, et comme tout était vide, complètement nettoyé, TaeHyung s'est levé. Maintenant il relit les poèmes dans le même sens que la veille. Il a l'esprit clairsemé. Les mots sont différents.

Maintenant il les comprend.

Il pose son front dans ses mains. Il le laisse là longtemps. Il entend des voix depuis les autres pièces de la maison. Les voix bougent. Les voix sont solitaires, mais elles s'accompagnent. Et TaeHyung se demande s'il connaît vraiment leurs propriétaires. Et il entend une voix dans sa tête. La voix bouge. Il s'entend penser. Il s'écoute. Et il cherche à se connaître lui même. Il ouvre les yeux sur son bureau. Et il tombe nez à nez avec ses mots écrits à la main, la paume aussi nue que l'âme. TaeHyung les trouve beau. C'est beau la poésie. Et il est beau le poète. TaeHyung relève la tête. Le monde n'a jamais été aussi clair. Il remonte ses lunettes le long de son nez. Le monde a encore évolué. Et le monde ne fait que changer à travers l'humain qui le voit, l'humain qui en jouit. TaeHyung est ébloui. Les gens changent. Leur monde aussi.

C'est le clairon de la vie.

TaeHyung pousse sur ses jambes, se lève d'un coup. Il regarde autour de lui, tourne les yeux, tourne la tête. Regarde, regarde, le monde est différent. TaeHyung sort de la chambre d'un pas mi pressé mi déséquilibré. Il ne reconnaît rien. Mais il connaît tout, jusqu'à la moindre poussière, jusqu'à la moindre molécule d'oxygène, jusqu'au moindre spectre de lumière qui s'y cache. Comme si la vie n'avait plus de secrets, comme s'il était là le jour où Dieu a tout créé . Ses yeux englobent tout. Pas besoin de voir quand il sait que tout est là, que ce n'est pas parce qu'on ne le voit pas, ne l'entend pas, ne le touche pas, que ça n'existe pas. Alors ce sont ses sentiments qui volent tout autour de lui. Ce sont eux qui donnent au monde tant de couleurs. TaeHyung dévale les escaliers, s'engage dans la grande salle. Et la lumière s'évade. La poussière est un banc d'oiseaux migrateurs, perdu sans son soleil. Et sa famille est attablée pour le déjeuner. Elle le regarde avec de grands yeux, statufiée autour de la table.

TaeHyung se dit que cette maison manque de couleurs. Il détaille son père, son frère, sa mère. Il n'y a pas d'étincelle dans leurs regards. TaeHyung se tourne vers les fenêtres. Il fait toujours si sombre ici. Toujours toujours si sombre. Il s'approche des grandes baies vitrées qui donnent sur la rue. Il inspire l'air chaud puis écarte les rideaux gris d'un coup. Et subitement la lumière s'étire. Regardez, regardez, le monde est différent. TaeHyung se tourne pour voir sa famille silencieuse, immobile d'un étonnement immatériel. Il le sent. Il vibre. Et il murmure.

« -Il faut que je sorte. »

Puis il le redit une nouvelle fois, un peu plus fort. Il le dit exactement trois fois, avec plus de certitude à chaque pas. Alors il sort de la maison en tempête, récupère son vélo dans le garage, monte dessus et quitte l'allée sans prendre la peine de refermer la grande porte. Et lorsqu'il se met à pédaler, le vent embrasse son visage, écarte ses cheveux. Il ouvre les yeux. Le souffle lui dit des mots du monde, et le monde lui souffle tout. TaeHyung accélère. Il pédale plus vite qu'il ne l'a jamais fait. Les maisons défilent dans le jour bleu, si bleu, si ensoleillé. Difficile de croire qu'hier il faisait nuit. Difficile de croire qu'hier encore il pleuvait dans ses yeux, dans sa tête, sur son corps. Et la vie ne lui a jamais paru si claire, et même si ça n'arrive pas souvent et que ça ne dure jamais très longtemps, elle lui laisse la chance, l'immense bénéfice de savoir parfaitement ce qu'il doit faire, ce qu'il veut faire. Il le sait. Il le sait. Et il a des tas de poèmes dans la tête. Il y repense et il n'en est que plus sûr. Les maisons, les jardins, les voitures, tout ça n'est plus que couleurs qui se fondent les unes dans les autres.

J'irais cueillir des fleurs juvéniles
Je fabriquerais un royaume d'argile
Et elles pousseront dedans
Et je t'aimerais tellement

« Dans chacun de tes poèmes, tu dis que tu m'aimes. Parfois même sans le dire vraiment. »

JungKook est assis à côté du terrain de foot de leur quartier car ses amis avaient prévu de venir y jouer cette après midi là. Et entre les cris de la jeunesse, il entend un bruit aigu. Il lève la tête. TaeHyung laisse le vélo tomber par terre puis s'engage dans l'herbe. Ses cheveux sont décoiffés, son visage a froid et ses yeux sont humides, remplis par les souffles du vent. JungKook se lève et court, les sourcils froncés, les yeux inquiets. Son palpitant hurle. Mais il n'a pas le temps de dire quoi que ce soit.

Et son cœur s'arrête quand TaeHyung le prend dans ses bras.

Et très certainement que dans une autre réalité, la Terre peut enfin cesser de tourner.

Âmes Poétesses - TaeKookTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang