Rondeau.

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Rondeau.

Rien n'arrive par hasard. Tout n'est pas juste mais tout a une raison. Et tout vient de là où commence le début et va là où se termine la fin. Et si quelqu'un est comme il est, c'est que quelque chose a fait en sorte que ce quelqu'un est comme il est.
Rien n'est insensé.
Mais tout est immoral.

TaeHyung est né en été. Aux abords du printemps, à l'horizon de l'automne. Quand il a découvert le jour, il n'a presque pas pleuré. On dit qu'il a ouvert des grands yeux sur le monde, si bien que ça lui a coupé le souffle. Sa mère l'a regardé longtemps. Il l'a regardée en retour. Et la Terre est restée silencieuse, lourde sous le poids de cette conversation muette. Puis quelqu'un a emporté le nouveau né. Et sa mère n'a rien dit.

A cinq ans, TaeHyung marchait seul dans la cour de l'école maternelle. Une fois, il a demandé à sa voisine, une petite brune qui se baladait dans le quartier avec ses parents le vendredi soir, si elle voulait jouer avec lui. Mais comme la fille avait déjà un ami garçon, elle lui a dit non. TaeHyung n'a pas compris pourquoi elle ne pouvait pas avoir deux amis garçons. Il n'a pas compris pourquoi ils marchaient par plusieurs dans la cour. Et il n'a pas compris pourquoi, lui, marchait par un. Il a été déçu, puis triste, puis il a arrêté de vouloir comprendre. Il s'est mis à se parler tout seul, et son écho lui répondait. Sûrement qu'il aurait dû être content.

A la petite école, les maîtres trouvaient TaeHyung différent des autres enfants. TaeHyung écrivait les noms à l'envers, dessinait le soleil dans l'herbe et les maisons dans le ciel. Ils le disaient dyslexique. Ils avaient tort. Car TaeHyung a su lire presque six mois avant les autres. Et personne n'en a vraiment été fier. TaeHyung lui, a continué de dessiner les choses aux mauvais endroits, mais a fini par remettre les mots à l'endroit. Car sinon les maîtres ne comprenaient pas. Et ses parents ne comprenaient pas pourquoi il n'y avait personne à côté de lui dans le bus scolaire. Et à l'époque, la mère de TaeHyung le berçait encore un peu le soir. Mais elle ne lisait jamais d'histoire.

A l'école primaire, TaeHyung n'a jamais vraiment eu d'amis. Les professeurs écrivaient des mots dans son carnet bleu marine. TaeHyung était dans la lune. TaeHyung était de ceux qui avaient toujours des bleus et des écorchures sur le corps, sur les genoux et sur les coudes parce qu'il ne courait pas assez vite lorsque les enfants jouaient et que le monde s'emballait trop pour lui. Alors il chutait sur le béton et ça lui égratignait les mains et lui trouaient ses jeans. Oui, il était de ceux là. Et quand il rentrait le soir, les vêtements déchirés, sa mère le sermonnait très fort. Et un jour, elle a arrêté de le bercer. Et quand il faisait les choses mal, elle se fâchait. Alors TaeHyung essayait de faire les choses bien. Mais souvent, il échouait. Il en avait mal de ses cris. Il en avait marre de leurs yeux. Et puis finalement, un jour, il a arrêté de parler tout seul. Il a arrêté de parler tout court.

Pendant les vacances d'été, il allait nettoyer la voiture avec son père. Il y avait de l'eau partout sur le sol et il trouvait ça drôle. Et même qu'au couché de soleil, l'eau brillait sur le béton, mouillait et piquait ses pieds nus. Et il trouvait ça beau. Le père de TaeHyung l'emmenait voir des matchs de football et des courses de voiture. A chaque fois, le garçon s'endormait. Mais comme son père souriait, il souriait aussi.

Quand il est entré au collège, il s'est fait un premier ami. Un garçon perdu comme lui. Mais pas tout à fait comme lui non plus. Parce que le garçon n'avait jamais écrit ses noms à l'envers et n'avait jamais dessiné des soleils dans le sol. Mais il mangeait avec lui à la cantine pendant la première année. Et pour TaeHyung, enfant silencieux, c'est tout ce qui comptait. Les professeurs du collège écrivaient des mots dans son carnet qui n'était plus bleu. TaeHyung était dans la lune. C'était un élève prometteur, mais toujours ailleurs. Toujours ailleurs. Et TaeHyung peignait des arbres turquoises sur des grandes toiles en carton. Un jour, il en a même montrée une à sa mère. Et sa mère a trouvé ça laid. Alors il a baissé les yeux et a caché la peinture dans un placard pour ne jamais venir la rechercher. Pour finalement oublier.

A treize ans, son seul ami a déménagé sur la côte ouest. Il s'est retrouvé à nouveau seul. Et il a haï le collège encore plus fort que l'école primaire. Son père ne l'emmenait plus laver la voiture pendant les vacances d'été, ni jamais d'ailleurs, ni aux matchs de football, ni aux courses de voitures. Il préférait y emmener son frère. Parce que son frère ne s'endormait pas et aimait vraiment ça. Et même que certaines nuits, TaeHyung aurait aimé que sa mère le berce, et certains vendredi, il aurait aimé voir la petite chinoise se balader avec ses parents. Mais rien ne venait jamais. Et TaeHyung ne montra jamais plus ses peintures à sa mère.

Et puis il y a eu cette fois là. Il avait quatorze ans. C'était sa dernière année de collège. Il ne parlait à personne dans sa classe. Mais il y avait ce garçon aux cheveux très blonds qu'il aimait regarder. Et parfois le garçon le regardait en retour et lui souriait doucement. Puis il y a eu cette fois là, à la piscine. Et TaeHyung toisait les filles déjà si sveltes et les garçons déjà si musclés. Et lui se sentait honteux car il ne savait pas bien nager. Et il n'était jamais bon en sport. Et dans les équipes, il était toujours le dernier qu'on choisissait. Et comme la fois où la petite chinoise a refusé d'être son amie, TaeHyung n'a pas vraiment compris lorsqu'un groupe de garçons s'est mis à le bousculer et qu'un groupe de filles s'est mis à glousser très fort. Et il n'a pas bien réalisé quand ils se sont mis à l'insulter et à dire des mots si gros et si brutaux. Et il a cru rêver quand le garçon blond qu'il aimait l'a traité de « tapette ». Il se souvient alors d'avoir fermé les yeux quand ils l'ont poussé à l'eau. Et il sent encore le chlore entrer dans son nez et noyer sa tête, sa gorge, sa peau si sale. Il se rappelle avoir senti son dos toucher le fond, avoir attendu longtemps avant de remonter. Et en allant vers les douches, un type deux fois plus grand que lui l'a bousculé. TaeHyung est tombé à genoux sur la céramique abîmée. Et ses genoux se sont ouverts. Ses yeux écarquillés ont fixé l'eau rouge, artistique, couler le long des fleuves infimes. Et des torrents ont chuté de ses yeux. Il a pleuré là, par terre, jusqu'à ce qu'un moniteur lui demande de rejoindre le groupe. Et il a continué de pleurer dans sa maison. Sa mère lui a ordonné de cesser ses chouinements cacophoniques.

Ce qu'il a fait. Il a pleuré, les lèvres cousues. Il est entré dans le salle de bain, a enlevé ses vêtements et a détaillé son corps dans le miroir. Il s'est trouvé si laid, si gros, si repoussant, qu'il a renversé le miroir et que la glace s'est brisée. Et il s'est renversé lui même et tout s'est cassé. Après ce jour là, il a commencé a faire des régimes. Il a arrêté de manger des sucreries, il a fait du sport, et quand il s'est pesé et a constaté que perdre du poids n'était pas si difficile, il a continué, et continué, et continué à maigrir. Et dans le miroir il se voyait toujours énorme. Il ne pensait plus qu'à ça. Au lycée, les gens étaient différents, parfois pires, parfois indifférents. Et TaeHyung n'avait qu'une optique en tête ;« être mieux ». Et s'il contrôlait ça, il contrôlait tout. Et s'il perdait du poids, il serait assez bien. Et personne, personne, personne n'a vu qu'à la fin de la Première il a arrêté de prendre des vrais repas. Et personne, personne, pas même lui n'a su que c'était un appel de son subconscient. Une parole muette jurant qu'il veut disparaître, et qu'il aurait préféré rester un enfant, rester tout petit, jusqu'à disparaître.

TaeHyung va avoir dix-huit ans, et allongé sur le lit de JungKook, le soleil déclinant, le regard déchiré, il raconte tout ça pour la première fois. C'est un flot continu de plaies qui sort de sa bouche. Et JungKook l'écoute. Et JungKook le croit. Parce que c'est ça, et seulement ça, leur réalité.

Âmes Poétesses - TaeKookWhere stories live. Discover now